Récompensé par la Bourse Goncourt du premier roman et par le
Prix Emmanuel Roblès en 2002, « le NON de Klara » est un livre
intense qui vous frappe comme un coup de poing.
Comment apprendre à revivre quand, comme pour Klara, on
revient d’Auschwitz après vingt-neuf mois de captivité. Une éternité pour voir
la barbarie sous toutes ses formes, à vingt-trois ans, parce qu’on a refusé de
se cacher, qu’on s’est bêtement fait recensée alors que tout son entourage vous
enjoignait de n’en rien faire.
Lorsque Klara sortira des camps, elle échouera chez son amie
d’enfance, juive comme elle, mais qui avait eu l’intelligence de changer de
nom, de se fondre dans l’anonymat. Klara ne pèse plus que trente huit kilos,
habillée et chaussée, mais dans ses yeux brillent une intensité nouvelle, celle
d’avoir su dire NON à l’horreur, d’avoir tout mis en œuvre pour s’en tirer en
refusant de devenir une victime de plus de la folie nazie.
Soazig Aaron ne nous livre pas là une énième version d’un
livre sur les camps de concentration. Au contraire, en choisissant le parti de
faire de ce livre intense le journal de Solange, l’amie qui écoute, héberge et
nourrit Klara, elle donne encore plus d’impact. Car chacune des deux femmes a
choisi un chemin personnel pour survivre. Chacune d’elle a vu les amis, les
membres de la famille mourir, déportés ou fusillés. Solange a aussi recueilli
la fille de Klara, Victoire, qu’elle a eue de son mari Rainer, le frère de
Solange, mort lui aussi, fusillé pour acte de résistance. Or Solange ne
comprend pas avec son mari, psychiatre et qui fait suivre Klara par une de ses
confrères, comment cette dernière peut refuser de voir celle qu’elle a mise au
monde.
Il faudra beaucoup de patience pour que Klara livre des
morceaux de son histoire. Une histoire parsemée de mort, celle donnée autour
d’elle comme celle qu’elle aura du elle-même donner pour abréger la souffrance
de ses amies détenues qui la suppliaient ou pour, plus tard, se venger des
profiteurs de guerre qui auront abusé sa mère.
Une histoire dans laquelle le père, adoré bien qu’il ait
divorcé de sa femme peu de temps avant la guerre, sera retrouvé dans un rôle
inconcevable finissant d’enfoncer Klara dans la honte absolue. Car Klara
sortira totalement détruite de ces longs mois de captivité suivis de nouveaux
mois d’errance dans une Europe de l’Est ravagée. C’est une femme physiquement
« sousvivante », comme elle se qualifie elle-même, psychologiquement
détruite et qui a perdu toute faculté de rire ou de pleurer, toute faculté
d’aimer. Une femme qui honnit tellement ce qu’elle a enduré qu’elle rejette sa
langue natale, l’Allemand, pour s’exprimer dans un français syntaxiquement
parfait mais ravagé par un accent germanique indissimulable. Un peu comme si
l’horreur, tatouée sur son avant-bras, refoulée, et la difficulté à accepter,
après coup, son statut de rescapée alors que tous ceux qu’elle aimait ont
disparu, devaient à tout prix s’exprimer, inconsciemment.
Chaque nouvelle confession est une descente supplémentaire
dans un enfer inimaginable. Plus Klara se décharge sur Solange, plus Solange,
pas préparée à cela, dépérit.
Lorsque Klara, au bout de quelques semaines, après avoir
tout liquidé des biens mis à l’abri par Solange, partira pour les Etats-Unis
pour y tenter de tout oublier, alors pourra commencer pour Solange le travail
de reconstruction d’elle-même.
On sort bouleversé de ce livre rare, superbement écrit,
profondément psychologique et qu’on ne saurait trop vous recommander que de le
lire au plus vite.
Publié aux Editions Maurice Nadeau – 2002 – 187 pages