Arrivé au soir de sa vie, à soixante-douze ans,
l’Académicien Jean-Marie Rouart, grand écrivain ayant beaucoup réfléchi et
écrit sur le sentiment amoureux, semble faussement s’étonner des surprises que
la vie lui a réservées.
Dans un roman autobiographique, il nous conte, sans forfanterie mais avec une
plume délicieuse et parfois aussi fielleuse que drôle, comment la vie a fait de
lui, le fils d’un couple un peu bohème et fauché, lui qui fut en partie élevé
par un couple de pêcheurs de l’île de Noirmoutiers, le personnage relativement
célèbre, reconnu et admiré qu’il est aujourd’hui.
Souvent, le tour que l’on donne à sa vie dépend de deux
facteurs essentiels : la passion ou l’ambition qui nous font avancer et
les rencontres que nous faisons ou savons provoquer. C’est en tous cas ce que
nous dit ici l’écrivain, en filigranes.
Lui qui rata son BAC fit une première rencontre amoureuse
avec une jeune fille de la haute société, Solange. Elle lui ouvrit les yeux et
les portes sur un monde qu’il convoitait mais dont il ignorait les règles, les
moeurs et les usages. Elle lui révéla aussi la puissance de la jalousie et la
perfidie du sentiment amoureux et passionnel, la jeune femme ne pouvant
s’empêcher de poursuivre de multiples aventures et de collectionner les amants
de passage tout en conservant sa préférence pour celui qui n’était ni de son
milieu, ni de son rang mais qui avait su déceler sa fragilité et en faire la
pierre angulaire de son amour pour elle.
Des rencontres, il y en a à foison dans ce livre écrit dans
une langue sublime. Les portraits ont la saveur d’un Sainte-Beuve. On se
délecte de la façon dont François Nourissier se trouve brossé, avec férocité et
tendresse. On chemine derrière les volutes des cigares d’un Vergès secret et
ambivalent. On comprend les fauves que sont ou furent un FOG ou un Gianni
Agnelli . Mais celui qui compta vraiment plus que tout pour Rouart, c’est
l’inimitable Jean d’Ormesson.
Encore adolescent et amant de Solange, il le vit débarqué de
sa décapotable Mercedes pour rendre visite à la sœur aînée de Solange. Lui qui
rêvait d’être écrivain ne savait pas encore que le flamboyant d’Ormesson serait
celui qui saurait détecter son talent, le faire accéder à l’Académie et lui
réserver son amitié, faisant de l’impécunieux et indigent Rouart son disciple.
Tout cela se lit avec un plaisir gourmand, celui des belles
lettres, de l’érudition, d’une culture classique forgée à la lecture des plus
grands et au temps passé avec les beaux esprits de ce monde. Une vie hors norme
à la portée de celles et ceux qui cumulent talent et désir de le faire éclore.
C’est la leçon en pointillés que l’on pourra retirer de ce très beau livre.
Publié aux Editions Gallimard – 2014 – 234 pages