Un lance-flamme est fait pour détruire de façon puissante,
violente, inexorable et à distance. Une arme atroce à laquelle il est
impossible d’échapper. Entrer dans ce roman épique et échevelé de la jeune
romancière Rachel Kushner, relève un peu de la même expérience. Il est
difficile d’échapper à la force de sa plume, à la vitesse à laquelle les idées
fusent, à la virtuosité des propos et au sens du détail et de l’analyse que
l’auteur nous propose, à peine dissimulés derrière une histoire qui nous
brinquebale sur les chemins de l’Histoire.
Rachel Kushner semble éprouver ici une sorte de fascination
pour les années soixante-dix, une période qu’elle n’a pas connue puisqu’elle
n’a pas encore trente ans. Un monde de liberté et de vitesse, celui de la
découverte de la drogue, celui d’un art qui recherchait à tout prix de
nouvelles voies d’expression entre l’immensité du land-art, les promesses de la
vidéo qui pointait son nez, les premières installations plus ou moins ésotériques
ou loufoques qui se mettaient à pulluler dans le grand village qu’était en
train de devenir le New-York des artistes.
Ce furent aussi les années des Brigades Rouges, d’une
révolution larvée en Italie ou en Allemagne et qui culmina avec l’assassinat
odieux d’Aldo Moro, le patron des patrons italiens.
Sans complexe, Rachel Kushner élabore un long et puissant
roman qui commence à toute berzingue au guidon d’une moto pilotée par une jeune
fille américaine, venue de Reno et surnommée de même pour se mesurer aux as de
la vitesse sur tout ce qui peut constituer un engin motorisé dans le désert de
sel de l’ouest américain. Cette jeune femme que nous allons suivre est
indéniablement une projection de l’auteur avec qui elle partage la passion des
grosses cylindrées, le ski de compétition, la curiosité intellectuelle et un
indéniable goût du risque surtout s’il est pris à toute vitesse.
Au fil des pages menées à un train d’enfer dans une langue
souvent au vitriol et n’ayant pas froid aux yeux, nous allons suivre le
parcours de Reno, ses déboires sentimentaux, sa découverte de la grande
bourgeoisie italienne puis celle des révolutionnaires anarchistes des Brigades
Rouges, sa cohabitation mouvementée avec l’avant-garde artistique new-yorkaise,
sa recherche de place et de sens dans une société où il faut se battre pour
survivre avant d’exister.
Lire les lance-flammes n’est certes pas de tout repos. R. Kushner
exige beaucoup de ses lecteurs : concentration, acceptation de se faire
bousculer, passage sans transition d’une scène à une autre, d’un lieu à un
autre dans un monde qui, comme elle, comme ses personnages, comme ses motos qu’elle
vénère ne cesse de se déplacer à vitesse maximale car la vie semble trop courte
pour faire du sur place.
Publié aux Editions Stock Le Cosmopolite – 2015 – 543 pages