Les voyages peuvent être une source bienvenue d’inspiration.
C’est en tout état de cause le cas pour Olivier Bleys qui a eu la chance de
faire partie des huit écrivains sélectionnés pour aller découvrir les immensités
russes à bord de l’Orient-Express puis, et surtout, d’un navire de croisière
qui les a emmenés de Krasnoïarsk, en Sibérie, jusqu’à 300 kilomètres au nord du
cercle polaire. Un voyage qui nécessairement suscite l’imaginaire, imprime des
images qui deviennent autant de sources d’inspiration.
On sait depuis le très joli roman « Le colonel
désaccordé » qu’Olivier Bleys aime la musique. C’est autour d’elle qu’il
construit donc son nouveau roman comme le titre le laisse entendre sans
ambiguïté.
Pour l’auteur, la musique est source de surprises et,
surtout, de situations porteuses de décalage dans lesquelles les personnages
dont on attend qu’ils se comportent selon des normes bien établies deviennent
les sujets de troubles et de confrontations face à des défis a priori
insurmontables.
Ici, c’est un pianiste plutôt raté qui est au centre de
l’œuvre. Colin débarque un beau matin au pied d’un village perdu de Sibérie
avec le piano qu’il a acheté à bord et laissé sur les rives sablonneuses du
fleuve. Les premiers gels et la neige menacent. Il lui faut trouver un abri qui
lui sera offert par un solitaire du hameau relativement pouilleux où Colin a
choisi de s’arrêter.
Une fois le piano transbahuté dans la masure, Colin va
révéler son secret. Sans aucune explication, soudainement sa main gauche refuse
de lui obéir dans le deuxième mouvement du deuxième concerto pour piano de
Rachmaninov. Tout le reste du répertoire ne pose aucun problème, seul ce
concerto, qu’il a joué jusqu’alors sans problème, lui résiste. C’est pour
tenter de vaincre cette main gauche qui lui résiste qu’il a élu domicile dans
ce trou perdu, une semaine avant de devoir donner l’œuvre en concert.
Commence alors une lente et brillante dérive orchestrée par
Olivier Bleys. Une dérive sur fond de vodka avalée à grands traits, de
confessions progressives qui nous révèlent peu à peu les vies réelles ou rêvées
des protagonistes. Mais aussi une découverte de soi, une plongée poétique au
cœur de ce qui nous constitue grâce à de sensationnelles séances d’hypnose
réalisées sous le contrôle d’un ancien cosmonaute désormais ermite engoncé au
cœur de la glaciale forêt sibérienne.
Olivier Bleys parvient à dérouler un récit qui oscille comme
ses personnages sans cesse entre transe et réalité, entre la brutalité de la nature
qui les entoure et la poésie qui les habite ou les hante, entre obsessions
refoulées et libération de la parole. La langue y est d’une beauté subtile,
hypnotique au point de vous conduire de bout en bout dans l’un des plus beaux
livres écrits jusqu’ici par O. Bleys.
Publié aux Editions Albin Michel – 2013 – 234 pages