La lecture et l’enseignement des Evangiles donnent une place
essentielle à Marie : celle de la Mère de Dieu, celle qui a consenti à
accueillir en son sein celui qui était destiné à venir sauver le monde, celle
qui se résout au pire et vient récupérer le corps d’un enfant sacrifié et
scarifié avant que de s’envoler, quelque temps plus tard au Paradis.
Loin de cette iconographie qu’il ne nous appartient pas de
commenter, l’écrivain Colm Toibin s’interroge de façon totalement latérale,
inhabituelle et inattendue sur la femme et la mère, la façon dont elle a pu
vivre les évènements sur le moment et à distance.
Pour cela, nous voici à Ephèse, vingt ans après la
crucifixion de Jésus. Marie vit seule dans une petite maison que viennent
visiter deux hommes dont nous ne saurons pas les noms mais dont l’auteur nous
laisse penser qu’il s’agit probablement de deux des apôtres. Ils sont venus
recueillir le témoignage de Marie. Un témoignage destiné à accréditer la thèse
de la divinité de Jésus, de sa prédestination. Ce qu’ils veulent, ce sont des
éléments qui abondent en leur sens et viendront alimenter la rédaction
d’ouvrages destinés à convaincre le monde.
Mais Marie ne l’entend pas ainsi. Elle a déjà trop souffert
et ne peut plus tolérer que l’on vienne interférer dans sa vie de veuve et de
mère orpheline qu’elle tente d’apaiser. Elle en veut d’autant moins que son
testament à elle, c’est celui d’une mère et d’une épouse qui a vu son mari
mourir trop tôt et son fils partir sur les routes puis devenir l’enjeu et
l’épicentre des tensions incessantes et insolubles entre tous ceux que le
pouvoir romain tente de contrôler.
Ce dont elle se souvient, c’est d’avoir vu son fils lui
échapper, de l’avoir entendu proférer des propos aussi obscurs
qu’incompréhensibles. C’est d’une résurrection de Lazare qui fut un vrai
supplice pour l’intéressé. C’est des vêtements qu’elle portait, des couleurs et
des ambiances à certains moments clé qui vont devenir, malgré elle, sans elle,
des repères fondateurs d’une religion qui commence à se propager.
Plus les hommes questionnent, plus les souvenirs refont
surface, plus Toibin imagine une sorte de contre-testament : celui d’une
femme qui cherche au départ à protéger son fils de lui-même avant de renoncer
face à une détermination sans faille. Alors, il lui faudra se protéger
elle-même et fuir au plus vite pour échapper à l’assassinat programmé de toutes
celles et ceux qui pourraient venir parler au nom d’un jeune homme qui vient
d’expirer cruellement sur la croix.
Colm Toibin met dans ce petit livre tout son talent de
conteur face à un sujet presque aussi dogmatique qu’intouchable. Il parvient
aisément à nous émouvoir et à nous interpeller sur ce qui font nos croyances et
nos cultures sans contester quoi que ce soit. Il pose de simples questions,
propose une autre lecture imaginaire et différente de ce qui s’est passé autour
de faits historiques majeurs tout en restant centré sur l’humain, le ressenti
d’une femme marquée dans sa chair et vivant le destin de son fils à une
distance irréconciliable. Un très beau livre.
Publié aux Editions Robert Laffont – 2015 – 121 pages