En nous faisant débarquer sur une petite île perdue des
Hébrides (en Ecosse), Alice Zeniter nous enferme dans un lieu dont on ne peut
plus échapper, terrain idéal pour nous plonger dans une construction romanesque
aux multiples facettes. Une construction fascinante de brio et conduite de bout
en bout avec une maîtrise qui force l’admiration.
Après huit années passées ensemble, Franck, infirmier de son
état, consciencieux mais toujours mal dans sa peau et en proie aux doutes, et
Emilie, une professeur de Français lassée d’enseigner à des adolescents retors
et hermétiques, traversent une crise de couple.
Franck rêve de devenir père. Emilie de faire une thèse sur
un auteur de romans policiers mort depuis vingt ans dans des circonstances
jamais élucidées, Galwin Donnell. C’est le désir d’Emilie qui l’emportera sur
celui de Franck.
Après trois mois de séparation forcée, Franck, toujours très
amoureux, se fait une joie de retrouver sa compagne sur l’île des Hébrides où
Emilie s’est installée. Car c’est sur cette île que Donnell (un auteur inventé
de toutes pièces, ne cherchez pas !) s’était reclus pour écrire avant d’y
disparaître corps et âme. Et c’est sur cette île aussi que se tient un congrès
universitaire annuel qui rassemble le gratin de chercheurs spécialistes de
l’auteur dans un joyeux mélange dont Alice Zeniter va tirer un tableau des plus
ébouriffants.
Très vite, Franck réalise qu’un fantôme, celui de Donnell
bientôt complété par celui du professeur d’université érigé en thuriféraire du
romancier disparu, s’est installé dans son couple. Plus le séminaire avance,
plus la relation entre Franck et Emilie se distend comme si un amant gênant
aussi virtuel qu’omniprésent pesait sur eux.
Mais le roman d’Alice Zeniter ne se contente pas d’explorer
une version inhabituelle du trio amoureux et des inévitables ravages qui ne
manqueront pas de se produire. Car, la jeune auteur entremêle avec une malice
extrême divers styles pour mieux confondre ses personnages et ses lecteurs.
En marge du séminaire, Franck se livre malgré lui à une
sorte d’enquête policière à distance sous la conduite forcée et alcoolisée d’un
gardien de phare, unique résident à l’année de l’île, dont l’attitude semble
avancer en folie au fur et à mesure qu’elle devient plus énigmatique et
troublante. Une enquête aux conséquences telluriques mais dont, seul le lecteur
détiendra l’entière conclusion.
Alice Zeliter, qui a tenté d’écrire elle-même une thèse sans
jamais l’achever, connaît bien le monde universitaire et ses codes figés,
tournés vers la production d’une petite élite destinée à s’auto-alimenter. Elle
nous en dresse un tableau égrillard, montrant tous les travers de personnages
où l’ego se frotte à la flatterie, où l’usage de termes hermétiques vise à
exclure le manant, où les séminaires peuvent se transformer en lieu de débauche
plus ou moins flagrante.
Et puis, quel délice que de lire à l’intérieur d’un roman
qui passe sans cesse du roman de société à l’enquête policière, du drame
psychologique à l’exposé universitaire, un pseudo roman policier assemblé à l’aide
de citations croustillantes imaginées de toutes pièces, d’extraits de tout ce
qui fait notre communication moderne compilée à base de media sociaux d’un
auteur qui n’a jamais existé mais qui excite les exégèses les plus extrêmes d’un
gotha d’intellectuels plus que ridicules. Le mélange permanent est d’un
réalisme saisissant au point de plonger le lecteur dans une mystification
totale dont on a peine à se retirer.
Décidément, Alice Zeliter signe ici un petit joyau
littéraire, une de ces réussites qui reste dans les mémoires et qui lui ouvre
grand les portes de la reconnaissance et du succès.
Publié aux Editions Flammarion – 2015 – 287 pages