Le dernier roman
de Mabanckou nous permet de retrouver l’auteur que l’on aime pour sa gouaille,
ses talents de conteur griot, celui qui mélange la langue française stylée avec
les expressions colorées africaines de son cru ou non. Bref, le Mabanckou de
« Verre Cassé » ou de « Mémoire de porc-épic » plus que
celui de ses derniers ouvrages plus autobiographiques.
Pour célébrer son
retour à ce qui a fait son succès et sa renommée, lui valant le Renaudot en
2006, Alain Mabanckou retrouve son Congo natal car c’est en pleine Pointe-Noire
que se situe tout son roman. Un roman où nous allons suivre les tribulations
d’un garçon placé en orphelinat à sa naissance parce que son père a laissé en
plan sa maîtresse enceinte pour ne pas avoir à s’encombrer d’un rejeton et d’une
deuxième épouse.
Doté d’un
impossible nom à rallonge reçu du prêtre venant catéchiser et baptiser les
enfants de l’orphelinat, il en changera le jour où il aura le courage de s’en
prendre à des jumeaux redoutés de tous en se vengeant de la rossée infligée à
son ami Bonaventure, en répandant allégrement sur la pitance des deux monstres
de la poudre de piment. Dès lors, « Petit Piment » il sera.
La vie de
« Petit Piment » ressemble beaucoup à celle de beaucoup d’Africains
ballotés au gré des circonstances. Il aurait pu être un gars bien mais il
deviendra un petit voyou en même temps que le pays sombrera dans une révolution
marxiste. Il est un personnage de fiction en hommage à trop de personnes
réelles laissées pour compte comme nous l’indique d’ailleurs l’auteur dans sa dédicace.
Sans vrais
repères, « Petit Piment » devient la figure littéraire permettant à
Mabanckou de décrire avec la verve qu’on lui connaît tous les excès d’une
Afrique à la fois généreuse et au sang chaud. Pointe-Noire devient ici le lieu
de toutes les turpitudes, de tous les excès, de tous les dangers et du recours
à une débrouillardise de chaque instant pour juste survivre et s’en sortir. C’est
au cœur de ces zones non-touristiques, délaissées de tous et dont les règles
non écrites laissent part à toutes les possibilités des meilleures au pire que
nous plonge l’auteur. Plus « Petit Piment » s’enfonce dans la
déchéance et la désespérance, plus la schizophrénie se développe, malgré les
promesses impossibles d’un guérisseur miracle. Car il semble impossible d’arrêter
la marche de 3petit Piment » vers son destin comme il semble impossible à
l’Afrique de ne pas régulièrement exploser en pulsions de violence provoquant
encore plus de désastres, d’exclusions, de confiscations et de prévarication.
La fin laisse
penser à une forme de morale mais elle est surtout un point d’interrogation
quant au sens d’un système qui semble fonctionner à l’envers et en dépit du bon
sens.
Quoi qu’il en
soit, malgré le tragique de ce qui nous est conté, on rit beaucoup et l’on
goûte avec délice à un plat épicé et haut en couleurs, à l’image d’un continent
qui peut vous faire passer en quelques instants dans tous les états
psychologiques possibles. Voici sans doute le meilleur bouquin de Mabanckou
depuis une dizaine d’années. Pas essentiel mais plein d’une verve jouissive
pour nous faire supporter l’intolérable.
Publié aux
Editions Seuil – 2015 – 288 pages