On ne choisit pas ses parents et le hasard fait que l’on
tombe parfois mal, voire très mal. Mais cela, l’enfant ne peut pas le
comprendre car, pour lui, ses parents sont des dieux, des référents absolus,
ceux qui définissent son monde et ses normes. Ce n’est qu’une fois adulte que
celui ou celle qui aura connu une enfance perturbée pourra éventuellement
comprendre s’il ou elle en a la force et si l’entourage favorise ce
cheminement.
Que peut répondre le jeune Emile Choulans quand, à chaque
rentrée scolaire, on lui pose inlassablement la question de la profession du
père ? Jamais celle de la mère censée, par définition, être au foyer car
nous sommes au tout début des années soixante dans une France péniblement en
route vers la modernité, commençant peu à peu à se remettre d’un conflit
mondial qui l’a laissée ravagée.
Réponse difficile en effet quand le père se dit agent secret
au service de l’OAS et de la CIA, déterminé à assassiner le Général de Gaulle
parce qu’il vient de lâcher l’Algérie Française.
Et puis, un père qui dit avoir été parachutiste, compagnon
de la Résistance, ami personnel de De Gaulle pendant la guerre, pasteur
luthérien, comploteur actif pour extrader Noureev, c’est forcément un héros aux
yeux d’un gamin de cinq ans. Alors, quand ce géant vous bât comme plâtre au
moindre prétexte, à coups de poing ou de ceinturon, qu’il vous enferme à genoux
toute la nuit dans un placard, tout cela est normal et un gamin se dit qu’il
l’a mérité après tout. Surtout quand la mère n’intervient pas, voire soutient.
De toutes façons, elle subit le même sort, même si elle a gagné le droit de
travailler. Elle aussi connaît les humiliations domestiques, les coups, les
cris incessants.
De facto, dans cet univers de violence familiale, quand
votre héros décide de faire de vous un agent actif de l’OAS à douze ans en vous
dressant à coups de pompes (dans tous les sens du terme), vous ne pouvez que
trouver cela normal même si, ce qui vous passionne, c’est le dessin au point
d’avoir été surnommé « Picasso ».
Mais, on aura compris grâce à la séquence magistrale
d’ouverture du roman sur les obsèques glaçantes de ce père simplement suivies,
de loin et sans la moindre émotion, par l’épouse et le fils que du temps aura
passé et qu’un travail de reconstruction personnelle aura été entrepris. C’est
ce récit à rebours qu’entreprend Sorj Chalandon de façon magistrale, démontant
pièce à pièce la machine infernale de ce qui n’est rien d’autre qu’une folie
paranoïaque d’un père manipulateur pervers et donc destructeur. Une descente
dans la folie à laquelle les survivants auront échappé, chacun à leur manière.
Et puis, il y aura cette fabuleuse phrase finale qu’on vous laissera découvrir
et qui résume tout.
Un des grands romans de Chalandon.
Publié aux Editions Grasset – 2015 – 316 pages