S’engager dans un roman de l’écrivain catalan Victor del
Arbol, c’est plonger dans une mare profonde et noire, dans le dense réseau de
l’araignée du Mal comme nous l’avions déjà constaté avec son précédent roman
(qui connut un joli succès), « La Tristesse du samouraï ». C’est
aussi accepter un long voyage car les romans de l’auteur sont de gros pavés qui
vont demander beaucoup de temps pour être lus avec l’attention nécessaire.
Du temps, il est d’ailleurs question, de façon essentielle,
omniprésente, dans « Toutes les vagues de l’océan ». Car c’est à un formidable voyage à travers le
vingtième siècle que nous invite del Arbol, entre les combats des Républicains
espagnols luttant désespérément contre les ligues fascistes, la seconde guerre
mondiale, les goulags soviétiques, la terreur stalinienne et tout ce que ce
siècle a pu produire de misère et de victimes, par centaines de millions.
Mais le Mal absolu ne s’est pas arrêté avec le précédent
millénaire. Il n’a jamais autant progressé d’ailleurs et l’une des nombreuses
et incessantes formes qu’il prend touche à la prostitution, au commerce des
enfants sous la main de fer d’une mafia russe d’une cruauté totale et sans
limite lorsqu’il s’agit de protéger ses intérêts.
C’est parce qu’elle s’est intéressée, semble-t-il, de près à
ces affaires et à un réseau connu sous le nom de Matriochka que l’inspectrice
Laura est retrouvée morte, apparemment suicidée après qu’on l’ait accusée
d’avoir assassiné, en le torturant sauvagement, un des membres de ce réseau
mafieux. Plus précisément, celui dont elle sait qu’il a été, des années plus
tôt, l’assassin de son fils retrouvé mort flottant dans l’eau d’un lac.
Désireux d’en savoir plus sur cette affaire, son frère cadet
Gonzalo, un terne avocat vivant dans l’ombre menaçante d’un beau-père qui est
l’un des ténors du barreau barcelonais, se lance dans une enquête qui va lui
apprendre tout, bout par bout, coups après coups, sur sa famille.
Une famille qui a vécu longtemps dans la lumière protectrice
d’un père, Elias, héros communiste et figure légendaire espagnole. Mais
derrière les apparences se cachent souvent des réalités moins belles, voire des
affaires sordides ou nauséabondes comme nous ne tarderons pas à le comprendre.
Affronter ce roman, c’est accepter de se faire chahuter en
permanence par la quantité des personnages, par la férocité des situations, par
la brutalité d’une époque qui ne connut pas de limite dans la violence. C’est
affronter des choix dont on ne sait pas si l’on aurait capable, ou désireux, de
les faire nous-mêmes, eussions-nous été confrontés à la même situation. C’est
s’approcher du Mal au plus près, en appréhender de multiples aspects. C’est,
enfin, bloquer un nombre conséquent d’heures dans son agenda pour venir à bout
d’une histoire aussi éprouvante que complexe mais fermement tenue et menée par
celui qui est en train de rejoindre Carlos Zafon comme l’autre grand auteur du
genre noir espagnol.
Publié aux Editions Actes Noirs – Actes Sud – 2015 – 599
pages