Difficile pour un
enfant, quand on n’est pas tout à fait comme les autres, parce que surdoué, en
avance sur son âge, curieux de tout de décortiquer, de comprendre le monde des
adultes. Difficile aussi d’accepter la mort de sa grand-mère, quand, en plus
d’être une petite surdouée de presque huit ans on perd celle qui faisait le sel
de votre vie, celle qui avait compris que vous étiez tellement différente,
tellement unique et tellement fragile aussi qu’il fallait vous protéger des
autres et de vous-même. Encore plus compliqué est ce deuil quand, en plus
d’être cette figure tutélaire, votre grand-mère fut toute sa vie une femme
intrépide, ne respectant pas les conventions, n’en faisant qu’à sa tête tout en
gagnant le profond respect de toutes celles et ceux qu’elle aura sauvés sur les
zones de guerres où elle intervenait comme chirurgien volontaire.
C’est avec un
sens de l’observation exceptionnel, une compréhension intime de celui que l’on
devine avoir été lui-même un surdoué que Fredrik Backman compose son deuxième
roman après le succès aussi éclatant qu’inattendu de « Vieux, râleur et
suicidaire ». Un roman touchant parce qu’il a cette capacité à nous
replonger au cœur de l’enfance, des terreurs qu’elle contient, de cet
apprentissage constant de la vie et des échappées ou constructions imaginaires
qu’elle permet et sur lesquelles l’enfance elle-même s’élabore. Un livre émouvant parce qu’il
parvient à nous faire rire aux éclats malgré des situations souvent dramatiques
et parce le monde vu par les yeux d’une gamine à tous points exceptionnelle,
Elsa, résonne de façon forcément hilarante dans nos yeux d’adultes plus ou
moins désabusés.
Cette faculté de
l’auteur à nous faire nous sentir, nous les lecteurs, comme la petite Elsa doit
beaucoup au fait d’imaginer un conte sur le roman qui sert de fil conducteur et
de décodeur. Car la grand-mère d’Elsa fut aussi une grande raconteuse
d’histoires, une inventrice insatiable de personnages qu’elle faisait vivre en
parlant une langue secrète, connue seulement d’elle et de sa petite-fille, du
moins le pense Elsa.
Des histoires
auxquelles Elsa va sans cesse se référer pour interpréter ce qui se passe dans
ce monde des adultes si bizarres maintenant que sa grand-mère n’est plus là,
elle qui est la fille de parents divorcés, ballotée entre deux familles
recomposées et deux parents fondamentalement absents bien que charmants mais un
peu perdus avec cette enfant qu’ils ne parviennent pas tout-à-fait à comprendre
et moins encore à canaliser.
Des histoires qui
vont trouver un nouvel écho parce que sa grand-mère, au-delà de la mort, a semé
une succession de lettres qu’il va lui falloir trouver et comprendre. Autant de
petits cailloux d’une sorte de jeu de piste géant conçu pour lui faire
rencontrer ceux et celles qui ont vraiment compté pour sa grand-mère, lui faire
comprendre qui cette femme fut vraiment, lui révéler ce qu’elle a toujours
maintenu secret. Bref, la faire grandir par la découverte, le questionnement,
la confrontation à cet inconnu qui souvent paralyse et aux dangers qui vont lui
permettre de comprendre que d’autres, missionnés par cette fabuleuse
grand-mère, seront là désormais pour prendre soin d’elle à leurs manières
jusqu’à ce qu’Elsa soit suffisamment prête pour affronter le monde réel par
elle-même.
Il y a de la
magie, une poésie, une douceur infinies dans ce très beau roman où le
fantastique se mêle au quotidien et où le monde des adultes, avec ce côté
souvent ridicule, mesquin, étroit se débat sans cesse avec une éducation où la
générosité, l’ouverture aux autres ont été fortement inculqués.
Un vrai coup de
cœur.
Publié aux
Editions Presses de la Cité – 2015 – 432 pages