L’exil est un
maître mot pour décrire une partie du parcours d’Atiq Rahimi. Né en
Afghanistan, il se voit contraint de fuir en Inde après que son père, juge à la
Cour Suprême afghane, ait été emprisonné et tenu enfermé pour trois ans pour
avoir commis un jeu de mots subtil sur le nom Afghanistan, une fois les
communistes arrivés au pouvoir. C’est en
Inde qu’il va s’ouvrir au monde, découvrir l’importance de la culture et de l’art
avant d’émigrer en France où il vit depuis trente ans.
Couronné du Prix
Goncourt en 2008 pour son premier – et très beau – livre écrit en Français « Syngué
Sabour. Pierre de patience », il publie ici son troisième livre. A. Rahimi
est aussi callimorphe, cinéaste (il a adapté au cinéma ses deux précédents
livres) et photographe. Un artiste pour lequel l’image, l’importance des
traits, la subtilité réduite à l’essentiel, à l’épure de la forme pour toucher
l’âme est un souci constant comme nous allons bientôt le voir dans son dernier
ouvrage.
Poussé par son
éditrice à écrire sur l’exil, A. Rahimi buta pendant trois années sans parvenir
à rien. Et puis vint la réminiscence de l’enfance et de l’apprentissage de l’écriture.
Là-bas, en Afghanistan, c’est avec un morceau de roseau taillé, le calame, que
l’on apprend à écrire l’alphabet persan et arabe. Une écriture où la maîtrise
de la forme est fondamentale, où le positionnement d’un détail ou d’une nuance
altère le sens au point de le rendre incompréhensible. Une écriture qui, du
coup, donne naissance à un art, celui de la calligraphie, dont la combinaison
avec la composition littéraire engendre à son tour un art poétique unique.
Pour Rahimi, la
maîtrise formelle du trait fut difficile. Simplement parce que l’auteur est un
rêveur, un visionnaire et un artiste qui préfère la ballade du calame sur la
page blanche au traçage appliqué et formel de séries de signes. Une ballade du
calame qui permet de composer, de s’évader, de jouer sur ces caractères qui
sont dotés d’une esthétique propre. Une ballade du calame qui, de fil en aiguille,
le temps passant, l’expérience venant, va sans cesse naviguer de l’écriture (la
calligraphie) vers le dessin (la callimorphie). Chaque caractère est autant de
source d’inspiration pour retrouver l’essentiel de ce que l’on cherche à
exprimer. Pour l’auteur, l’inspiration vient de la puissance érotique du corps
des femmes dont des illustrations parsèment tout ce livre conçu sous forme de
récit autobiographique, de réflexions puissantes sur le sens de l’écriture, de
vision poétique du monde aussi.
Une ballade qui
se transforme aussi, muta mutandis, en une balade (musicale donc cette fois,
mais avec une partition que l’auteur nous laisse le soin de composer
nous-mêmes) en hommage à une mère, professeur en beaux-arts qui le guida et l’incita
à s’essayer à la peinture, à un père qui paya cher pour avoir osé jouer avec
les lettres sacrées, à la France qui lui apporta la liberté et la
reconnaissance.
Un livre
merveilleux, d’une rare intelligence et qui devrait parler à tout esthète.
Publié aux
Editions de l’Iconoclaste – 2015 – 208 pages