L’Irak n’a pas
toujours été ce pays désormais en proie à d’incessantes guerres civiles sur
fond de rivalités religieuses et sans gouvernement suffisamment fort et établi
pour garantir paix et harmonie. L’Irak fut, pendant longtemps, un grand pays et
où, jusque vers la fin des années cinquante, le début des années soixante, il
était possible de vivre en paix, toutes confessions et religions confondues.
La succession de
guerres, contre Israël, contre l’Iran puis la Guerre du Golfe ont eu raison
d’une nation qui était peu à peu tombée sous le joug d’une dictature
intolérable bien vite remplacée par les incursions insidieuses d’Al Qaïda et
désormais de Daesh. Comme toujours en cas de conflit, ce sont les populations
civiles qui en payent le prix fort, celui du sang versé et celui de l’exil,
massif.
Dispersés, ils le
sont ces innombrables membres de la diaspora irakienne venus s’établir au
Canada, en France, à Dubaï et n’importe où ailleurs on voulait bien leur
accorder un titre de séjour. Un parcours erratique et souvent vexatoire qu’a
connu Wardiya, une femme de quatre-vingts ans ayant les plus grandes
difficultés à marcher et désormais établie en France. Nous la trouvons, au
début du livre, sur le perron de l’Elysée, invitée d’honneur d’une réception
donnée par le Président de la République à l’occasion de la visite du Pape.
Avant de se figurer
au premier rang de ces Irakiens catholiques honorés par la République, elle fut
l’une des toutes premières femmes médecin de son pays et la première de sa
famille. Une époque où il était possible d’épouser pratiquement qui l’on
voulait, on l’on pouvait embrasser une
profession selon ses capacités, où vivre ensemble ne posait pas la
moindre difficulté.
Désormais exilée,
Wardiya se souvient d’un monde qui n’est plus. Remonte toute une vie de
souvenirs. Une vie faite de joies, de dévouement et puis, de plus en plus, de
tensions, de peurs au fur et à mesure que les luttes politiques se font
féroces, que les révolutions succèdent aux guerres, que la folie sous toutes
ses formes devient le mode opératoire, plongeant le pays dans le chaos, la
violence, les exécutions sommaires ou les liquidations sous toutes ses formes.
Des souvenirs qu’elle convoque auprès de l’une de ses filles, exilée à Paris,
et de son petit-fils, surdoué en informatique. Lui devient malgré lui le
réceptacle de ce monde disparu au point de créer un cimetière virtuel dans
lequel il regroupe de force les membres d’une famille qui ne fut pas épargnée
par ces soubresauts de l’Histoire et dont les ossements ont été dispersés aux
quatre coins du monde.
Et puis Wardiya
dialogue avec son autre fille, elle-même médecin, qui fit le choix d’émigrer au
Canada avant qu’il ne soit trop tard pour elle et sa famille. A travers son
parcours, nous comprenons la souffrance de ces exilés, la somme de courage, de
renoncement et de travail qu’il faut dépenser, sans compter, malgré les
vexations, pour trouver sa place et tout recommencer dans un pays en tous
points différent de celui qu’on a dû quitter, contraint et forcé.
Ce parcours,
Inaam Kachachi l’a vécu elle-même qui a fui l’Irak pour venir s’installer à
Paris où elle vit et écrit, comme journaliste et romancière. Déjà, son premier
roman « Si je t’oublie, Bagdad », publié en 2009, l’avait fait
remarquer pour sa capacité à narrer l’horreur à travers une langue douce et
très poétique. Un style qui s’est encore affirmé et que l’on retrouve ici, magnifié,
dans ce superbe deuxième roman qu’est « Dispersés ».
Publié aux
Editions Gallimard – 2016 – 272 pages