Depuis le succès de ses
précédents romans (« La Chine en dix mots », « Brothers »
entre autres), Yu Hua est devenu un auteur majeur de la scène littéraire
chinoise. Un romancier reconnu et apprécié tant dans son pays qu’à l’étranger
pour avoir trouvé le moyen de dénoncer les travers et les innombrables
scandales qui secouent son pays sans tomber sous les coups de la censure. Pour
cela, il prend tout d’abord la précaution de ne jamais mettre en cause
directement le Parti. Et puis, il use d’une langue simple car il avoue ne pas
connaître suffisamment d’idéogrammes classiques et de vocabulaire ce qui l’a
obligé à inventer un nouveau style, beaucoup plus direct et populaire.
Avant d’être écrivain, Yu
Hua passa toute son enfance à côté de son père chirurgien d’un petit hôpital de
Province, assistant à d’innombrables opérations, découvrant des cas médicaux
spectaculaires, devenant un familier de la mort et de la morgue où il allait
dormir, au frais, les jours de canicule ! Une façon de se blinder, de
prendre du recul par rapport aux évènements. Il commença sa carrière comme
dentiste avant de découvrir, par hasard, le métier d’écrivain pour lequel il
abandonna finalement tout, avec succès.
Son dernier roman,
« Le Septième Jour » est un roman sur la mémoire doublé d’une
critique allégorique de la société chinoise contemporaine. S’inspirant de faits
divers bien connus et scandaleux ayant fait l’objet d’une couverture médiatique
forte, il nous montre comment, à sa manière, le pouvoir chinois procède pour
réinventer l’Histoire, maquiller le passé afin de dresser le portrait d’une
nation puissante et victorieuse, s’arrangeant toujours pour minimiser la
réalité de tous les accidents entraînant destruction et morts en grand nombre
d’une société qui ne vit plus que pour l’accumulation frénétique de richesse et
d’argent, ayant plongé sans vergogne d’un communisme réactionnaire au
capitalisme forcené.
Pour ce faire, Yu Hua
nous convie au pays des morts, un monde parallèle que vient de rejoindre un
jeune homme brutalement décédé dans l’explosion d’un restaurant où il avait ses
habitudes. Même une fois morts, les âmes errantes continuent de fonctionner
dans une société inégalitaire. Le principe en est simple. Tant que le défunt ne
peut pas bénéficier d’une sépulture sur Terre, il est condamné à errer, voyant
son corps se décomposer jusqu’à ne plus devenir qu’un squelette errant mais
parlant tout en continuant d’exercer les gestes essentiels, les plus
représentatifs de ce que fut son existence terrestre. Seuls les riches et les
puissants peuvent donc accéder au repos éternel comme le montre de façon
drôlatique le mode de fonctionnement dans le crématorium où attendent les
défunts.
Pendant sept jours, le
jeune homme récemment décédé va découvrir les nouvelles règles de
fonctionnement de là où il se trouve. Au hasard des rencontres, il va de plus
en plus souvent retrouver celles et ceux qui furent ses voisins ou sa famille,
lui qui fut très tôt séparé de ses parents pour être élevé par un pauvre
cheminot qui l’aura recueilli dans des circonstances rocambolesques. Bien des
victimes sont le témoin d’une des manipulations du pouvoir. Certains ont péri
dans l’incendie d’un centre commercial dont le bilan est largement minoré pour
protéger le Maire ; d’autres dans l’effondrement d’un immeuble rasé pour
permettre à la spéculation immobilière d’avancer ; d’autres encore sont
les fantômes de bébés assassinés en masse ou bien ceux d’un Lumpen
Proletariat vivant dans les abris
antiatomiques et condamnés à vendre leurs organes pour survivre.
Dans ce monde féroce où
évoluent les morts, les relations semblent cependant apaisées, l’entraide de
mise, la gentillesse l’évidence. Chaque jour permet au jeune défunt de
comprendre mieux comment il quitta la vie tout en retrouvant, avec sérénité,
les êtres qui lui furent chers, prenant un congé définitif de ce qui fit sa vie
avant de s’enfoncer dans une éternité d’oubli.
Yu Hua signe là un roman
fabuleusement poétique, drôle, féroce et caustique qui dépeint fort bien tous
les travers d’une société chinoise qui risque la catastrophe si on ne met pas
un bémol à la frénésie qui l’agite.
Publié aux Editions Actes
Sud – 2014 – 270 pages