Le dernier roman de Nancy Huston est un étrange objet qui se
situe à mi-chemin entre le roman d’anticipation à la 1984 et la fable
écologique. Une dystopie directement inspirée par l’épouvantable désastre écologique
en cours provoqué par l’extraction massive des schistes bitumineux en Alberta
et sur lequel la romancière semble donc nous interpeler.
Nous voici quelque part dans le futur… proche. Le monde
semble partagé entre l’Over North (gigantesque sur-ensemble du continent
américain et de certains pays européens), la Chine et l’Ile Grise, un
territoire perdu où l’on pratiquait la pêche. Un jour, parce que les poissons
menaçaient de s’éteindre, tout s’est arrêté et les pêcheurs ont peu à peu
grossi les rangs de forçats enterrés dans des mines inhumaines et
pestilentielles d’où est extrait un précieux pétrole devenu un enjeu de survie
et de pouvoir dans le monde.
Un monde qui ne tient plus que par une sorte de terreur, de
surveillance constante afin d’identifier toute déviation, tout acte ou toute
pensée susceptible de compromettre un fragile équilibre. Un monde où les
injonctions affichées en lettres gigantesques telles ces slogans de l’ère
communiste tiennent lieu de lignes directrices et de morale politique.
C’est dans ce monde que tente de trouver sa place Varan Mac Leod,
un jeune homme à la gueule d’ange mais à l’esprit de démon. Un descendant de
ces pêcheurs venu à son tour rejoindre les hordes de travailleurs du pétrole,
comme infirmier. Un homme tourmenté, incapable d’entretenir la moindre relation
normale avec une femme, traumatisé depuis son enfance.
Dès les premières pages du roman, nous savons que Mac Leod a
commis un acte violent lui valant d’être brutalement arrêté, enlevé, enfermé et
torturé physiquement et psychiquement. Entre deux séances de torture, la
romancière nous plonge dans l’esprit du jeune homme, nous fait toucher du doigt
son histoire, ses phobies, ses hontes, ses pulsions, son jardin secret. Une
descente dans une folie mentale qui est le reflet individuel d’une autre folie
collective, celle-ci. Celle d’une société qui n’a plus d’autre sens que de
survivre, sacrifiant vies et libertés sans vergogne, abrutissant ses membres de
travail, de brimades ou de récompenses superficielles à base de primes vite
dépensées en alcool et prostitution.
Le problème est qu’on ne comprend pas très bien où la femme
de lettres veut en venir. S’agit-il d’un livre sur la folie, d’une fable
politico-écologique, d’un thriller ? Que veut-elle nous dire au
fond ? C’est là tout le problème de ce roman qui nous laisse un
arrière-goût d’insatisfaction voire de malaise sur lequel on ne parviendrait
pas à mettre la raison.
Publié aux Editions Actes Sud – 2016 – 296 pages