Printemps 1505. Depuis la
réalisation de son David géant et de sa Pieta, Michel-Ange est devenu une
gloire des arts, le maître absolu de la sculpture. Une reconnaissance qui lui
vaut le commande d’un fastueux tombeau pour le Pape Jules II, mégalomane et
amateur d’art averti, du vivant même de ce dernier.
Avec un art consommé des
mots, un souci de la précision du geste, du ton et du rythme acquis en tant que
violoniste baroque, Léonor de Récondo sculpte à son tour un roman superbe,
ciselé comme jamais. Chaque mot y est choisi avec un soin extrême, chaque scène
nous plonge au cœur de l’intimité d’un génie d’essence quasi-divine mais habité
d’un esprit et d’un cœur tourmentés.
Car l’inspiration de
Michel-Ange semble lui être dictée en grande partie par ses pulsions. Celles
pour la beauté des corps, lui qui entreprend le long voyage vers les carrières
de Carrare après avoir quitté brutalement la salle de dissection où l’on venait
de lui apporter le corps d’un jeune moine dont la beauté l’avait foudroyé. Celle
du corps de sa mère à qui il fut arraché très tôt pour être confié à une douce
nourrice. Une mère qu’il ne connut quasiment pas, morte brutalement et jeune
comme souvent à l’époque. Une mère qui hante ses rêves et abonde son imagination
pour accoucher de sculptures qui tentent de reproduire l’image de cet être
absolu et disparu à jamais. Celle de son propre corps laissé crasseux, puant,
nourri frugalement d’un peu de pain trempé dans du vin, tanné au soleil de
plomb des carrières où il passe ses journées à accompagner les ouvriers dans le
choix des blocs de marbre à découper de la montagne.
Quand Michel-Ange n’est
pas plongé dans les tourments de ses pensées, lui qui est le plus souvent un
être renfrogné, irritable, voire asocial, voici que d’autres pierres vivantes
viennent l’interpeler, le faire douter ou lui ouvrir de nouvelles perspectives
créatrices. Il semble sans cesse rebondir entre un enfant-surdoué qui ne le
lâche pas d’une semelle, le questionnant tantôt avec la même profondeur que
celle qu’il mettra dans ses propres commentaires, l’idiot du village qui se
prend pour un cheval tombé amoureux fou d’une jument blanche et le contremaître
de la carrière qui sait lire entre les pensées de cet homme frustre, rugueux et
génial qu’il a le privilège insigne de côtoyer.
Un jour, le sculpteur
reprendra le chemin de Rome. Pendant ces quelques mois de halte, il aura vécu
avec certains de ses démons, expulsé d’autres, bataillant sans cesse entre ses
obsessions, puisant là un matériau pour concevoir une nouvelle œuvre
gigantesque et se montrer digne d’un commanditaire qui peut faire sa gloire et
sa fortune. Il y aura trouvé la matière à sa pietra viva en même temps qu’il
aura progressé, un peu, en tant qu’homme. De notre côté, nous aurons vécu le
bonheur d’une lecture parfaite, d’un roman poétique et imaginatif puissant,
d’une écriture sobrement lyrique et essentielle.
Une formidable réussite.
Publié aux Editions
Sabine Wespierer – 2013 – 240 pages