Landfall signifie
en anglais le fait pour un bateau de revenir à quai ainsi que le phénomène
météorologique grâce auquel une tempête formée en mer se transforme en cyclone
une fois arrivée sur les terres. C’est ce phénomène qui a donné lieu, entre
autres, à Katrina, plongeant la Nouvelles-Orléans dans une dévastation inégalée
jusque-là et dont il sera amplement question dans le roman d’Ellen Urbani.
Un moment d’inattention
peut avoir des conséquences insondables. Parce que Gertrude se chamaillait avec
sa fille, Rose, qui avait résolu de poser ses pieds nus sur le tableau de bord
de la voiture de sa mère, celle-ci va soudainement en perdre le contrôle et
heurter de plein fouet un pin, transperçant la conductrice qui va mourir sous
les yeux de sa passagère indemne. S’extirpant à grand peine de la voiture
fracassée, Rose va mettre les pieds sur un cadavre ensanglanté : le corps
d’une jeune femme noire que la voiture accidentée aura malencontreusement
percutée à un endroit où elle n’aurait jamais dû se trouver.
Une fois secourue
et sa mère enterrée, commence pour Rose un long travail de deuil qui passe par
un irrépressible besoin de se faire pardonner en comprenant qui était la jeune
femme tuée accidentellement. Un travail délicat puisque la défunte n’avait en
tout et pour tout sur elle qu’une carte de visite, le ticket d’un repas pris
dans un restaurant et une page arrachée à un annuaire ; ainsi que de
nombreuses traces de violence non liée à l’accident témoignant d’une lutte
acharnée pour se protéger.
Plus l’enquête de
Rose avancera, plus des similitudes troublantes sembleront survenir entre ces
deux jeunes femmes, l’une morte, l’autre survivante. Une recherche commencée
comme une tentative de réconciliation avec elle-même et qui va peu à peu muer
en un besoin de mieux comprendre celle qu’elle est, elle qui fut élevée par sa
seule mère sans que celle-ci ne lui ait révélé d’informations substantielles
sur celui qui est son père.
La force du roman
d’Ellen Urbani est multiple. Tout d’abord, l’auteur parvient brillamment à
rendre compte du travail de deuil, mêlant réminiscences de scènes vécues à l’action
en cours, celle-ci favorisant celles-là, passant sans qu’on n’y prenne garde de
l’un et l’autre ce qui peut d’ailleurs parfois rendre la lecture un peu
compliquée si le lecteur ne se montre pas attentif. Ensuite, il y a là la mise
en lumière d’un problème endémique aux Etats-Unis, celui d’un racisme plus ou
moins larvé, carrément souvent explicite dans les Etats du Sud, maintenant dans
une pauvreté extrême toute une partie de la population afro-américaine. On y
trouvera ensuite une narration détaillée, directement inspirée de la lecture
attentive d’une foultitude de matériaux que l’auteur référence en annexe, de la
façon dont Katrina fut annoncé, géré, des graves désordres qu’il engendra et de
la façon honteuse dont une foule essentiellement afro-américaine ayant tout
perdu, cherchant son salut dans un flux migratoire immense sous l’influence des
autorités de la Nouvelle-Orléans se vit traitée par une petite ville à majorité
blanche de la banlieue, bien décidée à empêcher ce qu’elle considérait comme de
la pure racaille de pénétrer sur son territoire. Tous ces éléments nourrissent
de façon logique, sans jamais sembler collées de force, les pièces d’un
gigantesque puzzle dont le mystère, inattendu, nous sera révélé en toute
dernière page.
La seule réserve
importante que l’on pourra formuler tiendra à la relative confusion du début et
au fait qu’il faut passer la première centaine de pages pour que le rythme s’installe
vraiment et que l’on se sente alors entrer entièrement dans un roman de plus en
plus captivant. Sans doute Ellen Urbani et son éditrice ont-elles voulu rendre
compte de cette manière hésitante la difficulté d’une enquête et d’une
réadaptation à la vie quand on a tout perdu. Mais plus de concision aurait
immanquablement conféré plus de force à ce premier roman par ailleurs plutôt
réussi et à découvrir. Merci, une fois de plus, à Gallmeister de donner sa chance
à une représentante de cette nouvelle génération d’écrivains américains
talentueux ainsi qu’il s’en est fait une spécialité.
Publié aux
Editions Gallmeister – 2016 – 304 pages