L’attentif
lecteur ne manquera pas de remarquer la formule pluriel surprenante
sous-titrant le dernier livre de Tristan Garcia : Romans, avec un s
terminal donc. Inhabituel et pensé évidemment pour envoyer un premier signal à
ce même lecteur : laissez-vous surprendre, entrez dans mes récits sans
comprendre mais soyez attentifs car de petits indices, ici ou là, devraient
vous faire saisir que ces diverses histoires que je m’apprête à vous raconter
ont un lien ténu entre elles, lien que vous finirez par découvrir à la fin d’un
parcours en forme de labyrinthe aussi génial que surprenant.
Evidemment, le
chiffre 7 ne fut pas choisi par hasard mais bien pour toute la symbolique qu’il
véhicule (les bottes de sept lieues, les sept péchés capitaux, les sept
branches de l’étoile de certaines religions, les sept jours de la semaine, les
sept étapes de la perfection etc…). N’oublions pas que Tristan Garcia est avant
tout un philosophe, spécialiste des objets et de la métaphysique et que rien
n’est innocent dans ce récit d’une intelligence redoutable.
7, comme 6+1. Six
récits en forme de novelas (des petits romans de 30 à 50 pages) complétés d’un
récit final de près de 250 pages, lui-même découpé en sept sous-parties. La
symbolique, toujours, mais pas gratuite, subtilement mise en place pour
soutenir une intention et tenir le lecteur en haleine, le surprendre tout en
l’interpelant.
Six récits qui
nous propulsent dans des mondes étranges, aussi familiers et réels que notre
France quotidienne, mais une France traversées par des manifestations
inexplicables que seule une poignée d’individus semble remarquer et
interpréter. Ici une drogue qui permet de remonter le temps et de revivre sa
vie (jusqu’à la limite physique de sept ans symbolique oblige). Une femme
sublime, la plus belle mannequin au monde, qui ne cesse de s’auto-détruire. Une
mini-secte prêchant l’omni-présence d’extra-terrestres pour expliquer des
disparitions inquiétantes. Un musicien qui découvre que ses créations musicales
préexistent depuis plus d’un siècle sur des rouleaux de bois etc….
Et puis, s’opère
une rupture en basculant dans l’ultime partie où nous allons comprendre que
l’éternité a un goût plus qu’amer. Car que ferions-nous si nous pouvions
ressusciter à l’infini, revenir sans cesse au point de départ de nos propres
vies, tout recommencer mais en accumulant des siècles de souvenirs,
d’expériences ? Sur cette interrogation, Tristan Garcia nous confronte à
certains des choix envisageables dans un pays qui ressemble de beaucoup à notre
France contemporaine elle-même située à un carrefour dont elle peut sortir
renforcée comme anéantie. Il y a d’ailleurs du Houellebecq dans certaines de
ces pages où la montée de l’Islam extrêmiste laisse percevoir des possibles
destructeurs et terrifiants.
Au bout du
compte, il est probable qu’on adorera ou détestera ce livre à part, inclassable
de Tristan Garcia. Un animal hybride qui tient de la science-fiction, de la
critique sociale, des nouvelles, du roman, de la prospective et de subtiles
invitations à la réflexion philosophique parsemées au fil des pages. C’est en
tous cas savamment construit, d’une originalité absolue, brillant et, pour tout
dire, on a adoré !
Publié aux
Editions Gallimard – 2016 – 580 pages