On connaît la passion de
FOG pour l’Histoire, lui qui navigue entre biographies (cf son livre sur
Jacques Chirac) et le roman bâti sur un fond de vérité historique (voir la
Cuisinière d’Himmler par exemple). Il faut dire que FOG est un jouisseur doublé
d’un farceur doté d’une intelligence supérieure, d’une culture solide et ayant
eu le privilège de côtoyer de près les Grands de ce monde et, donc, d’observer
leurs défauts et leurs travers.
Du coup, la parution d’un
nouveau roman de l’écrivain-journaliste est toujours guettée de près autant
qu’accompagnée de son lot de polémiques de la part de détracteurs un brin
jaloux et fort marris d’un succès qui ne se dément guère.
Disons-le tout de
go: son dernier roman
« L’arracheuse de dents » est une réussite totale en forme de
gigantesque claque. Une composition d’une originalité absolue, croustillante,
impertinente, caustique et drôle qui se dévore goulûment.
Bien sûr, tout ici est
inventé avec un soin extrême consistant à mêler la trame romanesque issue de
l’esprit fertile de l’écrivain avec des faits et des personnages historiques
que l’homme de lettres prend un malin plaisir à faire tomber de leur piédestal.
A la manœuvre se trouve une quasi-centenaire, Lucie Bradsock, qui, parvenue à
l’âge canonique de quatre-vingt-dix-neuf ans, décide de confier son incroyable
vie dans un manuscrit qu’un lointain descendant retrouvera près de deux siècles
plus tard au fond d’un grenier.
Née métayère dans une
famille pauvre du bocage normand, Lucile deviendra par un concours de
circonstances et un abattage hors du commun un personnage aussi essentiel que
trouble. Parvenue, presque par hasard, l’assistante d’un chirurgien-dentiste,
elle va s’affairer auprès des bouches souvent peu délicates et fort
mal-en-point des principaux acteurs de la Révolution Française. Aimant l’amour
et les hommes, jolie comme un charme, elle sait aussi bien faire tomber dans
ses rets les grands ou les anonymes de ce monde que se débarrasser des
importuns en tous genres ayant la lame aussi facile que rapide.
Des qualités qui vont
l’amener, fuyant une enquête policière qui lui colle aux basques, entre la
France et l’Amérique c’est-à-dire entre un vieux pays basculant d’un système
archaïque aux fondements d’une société moderne et une jeune nation en
construction hantée par le racisme et la Guerre de Sécession.
Sa capacité à rebondir
tout en se tirant des pires situations lui vaudra d’assister à la mort de
Custer lors de la bataille de Little Big Horn, d’être la maîtresse de Napoléon
sur l’ïle d’Elbe, de croiser Grant et Roosevelt, de soigner Robespierre, de frayer
dangereusement avec Fouché, de fréquenter Lafayette pour ne citer que
quelques-uns des innombrables personnages dont elle croise le chemin, soigne
les bouches ou d’autres maux plus intimes, parfois…
Avec une maestria
impressionnante, FOG parvient à nous plonger au cœur de l’époque qu’il nous
conte, nous faisant toucher et sentir la saleté et la puanteur d’un Paris
révolutionnaire où le sang coule à flots quand ce n’est pas l’impression
physique éprouvée lors des batailles entre ces odeurs de poudre, ces bruits
assourdissants, ces corps déchiquetés et les râles des mourants. A travers
l’histoire d’une Lucile Bradsock qui ne tarde pas à devenir une Calamity Jane
en son genre, c’est l’Histoire que nous redécouvrons. Du coup, l’auteur ne
manque pas de fustiger, entre les lignes, l’hypocrisie politique, les dérives
du capitalisme, la sauvagerie de l’esclavage, la posture ridicule d’une gauche
où les actes différent des paroles comme il se plaît à ringardiser ceux qui
peuplent nos livres d’Histoire.
Voilà un roman
ébouriffant, truculent, jouissif et politiquement incorrect, truffé de fausses
notes de l’éditeur, histoire de mieux nous entortiller dans une cavalcade d’un
siècle bien rempli en horreurs. Bref, l’histoire d’une humanité dont le
principe est de faire de l’homme un loup pour l’homme. On ne se change pas…
Publié aux Editions
Gallimard – 2016 – 448 pages