Haut-fonctionnaire (il est en effet sous-préfet en région
parisienne), Michel Bernard nous a aussi prouvés depuis plusieurs années
maintenant qu’il était un homme de lettres raffiné, tenant d’une écriture de
forme classique mais de style moderne idéalement allégé, puisant souvent son
inspiration dans ce que l’Histoire de notre Nation a connu de gloire ou de
désillusions. On se souvient ainsi par exemple avec émotion de son roman
« Les forêts de Ravel » nous donnant à partager le quotidien secret
d’un de nos compositeurs les plus farouches du début du XXème siècle.
Son dernier livre est un superbe hommage à l’art en général,
à la peinture impressionniste en particulier. Au centre se tient Claude Monet,
un artiste ombrageux et un brin bourru. Avant de devenir le peintre le plus
cher au monde de son vivant et l’ami intime de Georges Clémenceau, son cadet de
quelques mois seulement, Claude Monet dut longtemps batailler dur et tirer le
diable par la queue.
Convoquant la plupart de ses toiles les plus célèbres que tout
honnête contemporain n’aura pas manqué d’admirer un jour dans une exposition,
Michel Bernard nous emmène sur les traces du quotidien de Claude Monet. Nous le
suivons dans ses pérégrinations qui le mènent à Londres pour fuir la guerre de
1870 avant de le ramener à Paris, à Vétheuil ou à Argenteuil où il commettra
certaines de se plus belles toiles.
Pour l’auteur qui se fonde en cela sur diverses monographies
et études de l’artiste, Claude Monet pensa et organisa toute une partie de sa
vie autour de deux personnages. Chacun d’eux fait l’objet d’un chapitre entier
tandis que le dernier volet nous montre Monet vieillissant et glorieux dans son
repère de Giverny où il réalisera son ultime chef-d’œuvre dont il fera don à
l’Etat, sous des conditions drastiques, en hommage à la victoire de 1918.
La première figure, ce remords de Monet, fut celle de
Frédérique Bazille. Fils d’un notable de Montpellier, il fit partie de la bande
de copains avec Renoir, Pissaro et Sisley que fréquentait Monet à Paris.
Peintre brillant et que Monet admirait, Bazille vit son destin fauché après
s’être engagé comme zouave pour aller défendre la République nouvelle en danger
face aux troupes prussiennes. Il tomba sous les balles ennemies comme des
dizaines de milliers d’autres lors d’un assaut en rase campagne.
L’égérie de Monet fut Camille, son modèle qui lui valut un
début de reconnaissance au Salon de la peinture et de la sculpture en 1866 pour
le fameux tableau « La femme à la robe verte ». De modèle, elle
devint l’amante, puis la mère de Paul et Monet s’empressa de l’épouser. On
comprend à travers le regard de Michel Bernard le rôle essentiel que Camille
joua dans la création et la réussite de la peinture d’un homme qu’elle sut tout
à la fois encourager, soutenir, accompagner et juguler. Son décès prématuré fut
un drame personnel terrible pour Monet qui fit un portrait à la fois
bouleversant, terrifiant et révolutionnaire de la défunte sur son lit de mort.
Un tableau tellement intime et choquant pour l’époque qu’il resta longtemps
dissimulé avant que de le révéler, sur le tard, à son ami Clémenceau.
Ce sont ces deux remords, cruels et toujours présents au
cœur de l’artiste, qu’il voulut quelque part sanctifier ou sublimer en imposant
comme ultime condition au legs de sa série de nénuphars l’acquisition des
« Femmes au jardin » par le Musée du Louvre où se trouvent
représentées trois fois Camille, l’épouse adorée et disparue, et celle,
discrète, qui fut l’amour caché de Bazille.
Voici un livre d’une rare intelligence, superbement écrit et
qui nous donne à voir et à comprendre l’œuvre de Claude Monet avec un regard
neuf et éclairé. Bravo !
Publié aux Editions
La Table Ronde – 2016 – 216 pages