Et si van Gogh ne s’était pas suicidé ? Et si le Docteur
Gachet n’était pas cet amateur éclairé protecteur des impressionnistes mais un
horrible profiteur doublé d’un père imbuvable ? Et si Marguerite Gachet,
sa fille, avait été l’amante en fleurs du génie arrivé à Auvers-sur-Oise en cet
été 1890 ?
S’appuyant sur des recherches historiques, médicales et
artistiques diverses et parfois récentes, Jean- Michel Guenassia s’empare d’une
histoire devenue une sorte de mythe : celle de ces journées d’été 1890
durant lesquelles Van Gogh, artiste largement moqué et déconsidéré de son
vivant pour son incapacité à savoir dessiner selon les règles académiques comme
pour son goût des couleurs aux antipodes des canons esthétiques officiels,
allait produire pas moins de soixante-dix toiles en cinquante jours avant de
disparaître de façon mystérieuse d’un coup de pistolet tiré selon un angle improbable dans le
ventre, le plongeant dans une horrible agonie à laquelle rien ne fut fait pour
la soulager.
Car, parti-pris littéraire oblige, Marguerite Gachet devenue
vieille a décidé de conter sa vérité avant qu’il ne soit trop tard. Celle d’une
jeune fille qui va tomber intensément amoureuse d’un peintre au caractère
difficile, en butte constante contre les conventions de son temps. Des
conventions qui lui interdisent de poursuivre des études aux Beaux-Arts, qui la
poussent à épouser un garçon dont elle ne veut pas, qui en font la prisonnière
physique et psychique d’un père tyrannique, uniquement préoccupé de préserver
les apparences, de sauver sa réputation et de se constituer une collection de
maîtres à peu de frais. Un médecin peu capable, revu et corrigé par l’auteur et
par l’intermédiaire de sa fille, doublé d’un être abject… Et, enfin, une
histoire d’amour impossible qui se terminera mal en guise de colonne vertébrale
du roman fictionnel.
Si l’on croit dur comme fer à la version officielle, il est
certain que ce livre agacera. Si l’on accepte l’occurrence de points de vue
alternatifs, on appréciera alors tant la remise en cause troublante d’une mort
louche que sa mise en perspective historique illustrée par l’insertion de
textes d’époque qui montrent le grand écart entre une société de classe et de
préjugés et notre monde actuel plongé dans d’autres affres. Tout cela est
supporté par une belle langue rendant hommage à la beauté des lumières du Vexin
et capable de faire surgir force toiles qui allaient bouleverser l’histoire de
la peinture et faire basculer cet art dans la modernité.
Publié aux Editions Albin Michel – 2016 – 301 pages