Paru initialement en 1996 aux Etats-Unis où il connut un
succès certain, ce superbe roman d’anticipation est resté inédit en France
jusqu’à sa traduction et diffusion par la très belle maison d’édition
Gallmeister qui s’est fait une spécialité de faire connaître en Francophonie de
jeunes auteurs nord-américains de qualité (tels que David Vann, Elen Urbani ou
Ron Carlson pour prendre certains de leurs meilleurs succès de librairie).
On parle beaucoup actuellement, et à juste titre au vu des
catastrophes écologiques, sociales, humanitaires et économiques qui nous
menacent si nous ne changeons rien de façon radicale, de la fin inéluctable du
capitalisme et de la nécessité de réinventer en quelque sorte l’humanité en se
montrant plus frugal, plus autonome, plus solidaire aussi.
Alors voilà : pour une raison quelconque au fond sans
importance, à une époque probablement proche non précisée, les Etats-Unis ont
cessé d’exister. Ils se sont effondrés sur eux-mêmes, victimes de leur mode de
consommation effrénée et de l’indisponibilité des ressources arrivées à
épuisement. Il n’y a plus ni essence, ni électricité et bientôt médicaments et
ravitaillement deviennent des simples concepts en forme de souvenirs. Les
genres meurent de maladie et d’incapacité à s’adapter, les villes se vident et
la société telle que nous la connaissons cesse brutalement d’exister.
Dans cette civilisation qui s’effondre, deux jeunes sœurs
tentent de survivre. Elles résident ensemble
dans la maison que leurs parents avaient fait construire, loin de tout, à
l’orée de la forêt de Sud-Californie qui appartenait autrefois à l’Etat. Depuis
que leurs parents sont morts, elles ont dû apprendre à se débrouiller
entièrement seules et repenser intégralement leur façon de vivre. Chaque minuscule objet issu du monde
précédent doit être sauvegardé, répertorié, trié et utilisé avec la plus grande
parcimonie. Pendant que l’une, qui
voulait devenir ballerine à San Francisco, ne cesse de danser sur un simple
métronome, privée de musique sans électricité accumulant la rancœur d’un passé
révolu, l’autre qui se destinait à étudier à Harvard tente d’accumuler et
d’assimiler les connaissances rassemblées dans l’encyclopédie et les différents
livres qui peuplent la maison.
Plus le temps passe, plus l’espoir d’un retour au monde précédent
diminue, plus les dangers augmentent : les réserves de nourriture qui
s’épuisent, les rôdeurs aux intentions malsaines, les grands animaux (ours,
cerfs, sangliers) qui reprennent leurs droits. Plus le monde se rétrécit dans
ses perspectives, plus la relation entre les sœurs devient essentielle,
fusionnelle et donc, parfois, explosive.
Au fur et à mesure que les vestiges du monde ancien se
dégradent, c’est la forêt qui apparaît comme le lieu où inventer un monde
nouveau, où il devient tentant de s’aventurer de plus en plus profondément pour
se libérer de ses liens anciens ayant perdu tout sens et n’apportant plus la
moindre protection.
C’est vers ce dépouillement progressif, vers cette mise à nu
des relations humaines, de l’amour fraternel ou physique que nous emmène Jean
Hegland d’une main de fer maniant une écriture de velours. Un superbe livre qui
devrait continuer de vous hanter longtemps après l’avoir refermé.
Publié aux Editions Gallmeister – 2017 – 302 pages