29.3.17

Dans la forêt – Jean Hegland


Paru initialement en 1996 aux Etats-Unis où il connut un succès certain, ce superbe roman d’anticipation est resté inédit en France jusqu’à sa traduction et diffusion par la très belle maison d’édition Gallmeister qui s’est fait une spécialité de faire connaître en Francophonie de jeunes auteurs nord-américains de qualité (tels que David Vann, Elen Urbani ou Ron Carlson pour prendre certains de leurs meilleurs succès de librairie).

On parle beaucoup actuellement, et à juste titre au vu des catastrophes écologiques, sociales, humanitaires et économiques qui nous menacent si nous ne changeons rien de façon radicale, de la fin inéluctable du capitalisme et de la nécessité de réinventer en quelque sorte l’humanité en se montrant plus frugal, plus autonome, plus solidaire aussi.

Alors voilà : pour une raison quelconque au fond sans importance, à une époque probablement proche non précisée, les Etats-Unis ont cessé d’exister. Ils se sont effondrés sur eux-mêmes, victimes de leur mode de consommation effrénée et de l’indisponibilité des ressources arrivées à épuisement. Il n’y a plus ni essence, ni électricité et bientôt médicaments et ravitaillement deviennent des simples concepts en forme de souvenirs. Les genres meurent de maladie et d’incapacité à s’adapter, les villes se vident et la société telle que nous la connaissons cesse brutalement d’exister.

Dans cette civilisation qui s’effondre, deux jeunes sœurs tentent de survivre. Elles résident  ensemble dans la maison que leurs parents avaient fait construire, loin de tout, à l’orée de la forêt de Sud-Californie qui appartenait autrefois à l’Etat. Depuis que leurs parents sont morts, elles ont dû apprendre à se débrouiller entièrement seules et repenser intégralement leur façon de vivre.  Chaque minuscule objet issu du monde précédent doit être sauvegardé, répertorié, trié et utilisé avec la plus grande parcimonie.  Pendant que l’une, qui voulait devenir ballerine à San Francisco, ne cesse de danser sur un simple métronome, privée de musique sans électricité accumulant la rancœur d’un passé révolu, l’autre qui se destinait à étudier à Harvard tente d’accumuler et d’assimiler les connaissances rassemblées dans l’encyclopédie et les différents livres qui peuplent la maison.

Plus le temps passe, plus l’espoir d’un retour au monde précédent diminue, plus les dangers augmentent : les réserves de nourriture qui s’épuisent, les rôdeurs aux intentions malsaines, les grands animaux (ours, cerfs, sangliers) qui reprennent leurs droits. Plus le monde se rétrécit dans ses perspectives, plus la relation entre les sœurs devient essentielle, fusionnelle et donc, parfois, explosive.

Au fur et à mesure que les vestiges du monde ancien se dégradent, c’est la forêt qui apparaît comme le lieu où inventer un monde nouveau, où il devient tentant de s’aventurer de plus en plus profondément pour se libérer de ses liens anciens ayant perdu tout sens et n’apportant plus la moindre protection.

C’est vers ce dépouillement progressif, vers cette mise à nu des relations humaines, de l’amour fraternel ou physique que nous emmène Jean Hegland d’une main de fer maniant une écriture de velours. Un superbe livre qui devrait continuer de vous hanter longtemps après l’avoir refermé.

Publié aux Editions Gallmeister – 2017 – 302 pages