L’Irlande de la fin des années soixante est un pays encore
largement ancré dans les traditions. Celle d’une pratique religieuse assidue
marquant la séparation nette entre le Nord et le Sud ; celle d’une société
patriarcale dans laquelle l’homme travaille tandis que la femme tient le foyer
et s’occupe des enfants engendrés en aussi grand nombre que possible. Tout ceci
sous le poids du regard des voisins dans un mélange de bienveillance, de
suspicion, de jalousie et de pression à la conformité sociale.
Une vie dans laquelle s’était coulée pendant plusieurs
décennies Nora Webster. Du moins jusqu’au décès dans d’atroces douleurs de son
mari Maurice, un enseignant engagé politiquement, respecté par toute la
communauté catholique locale.
Avec la disparition de l’homme de sa vie, Nora se retrouve
face à une multitude de défis dont le moindre n’est pas d’éduquer et de
subvenir aux besoins de quatre enfants dont deux garçons encore adolescents et
fortement marqués par la disparition de leur père. Privée des ressources de
l’homme de la famille et dotée d’une chiche pension, Nora doit trouver des
solutions. Il lui faudra d’abord vendre la maison de vacances de famille, un
déchirement qui marque la rupture symbolique avec une vie d’avant qui n’est
plus. Puis reprendre un travail mal payé sous les ordres d’une furie qui lui
fera payer certaines petites vexations endurées du temps où Nora et elle
travaillaient ensemble une vingtaine d’années plus tôt.
Mais Nora est avant tout une femme de caractère, à
l’indépendance farouche, refusant de se laisser broyer par un système pesant.
Une personnalité qui la poussera à se syndiquer, geste inimaginable dans un
monde paternaliste, comme elle la mènera à découvrir le monde de la musique
classique et celui du chant qu’elle va se mettre à pratiquer. Une manière de se
réconcilier avec une mère qui fut une chanteuse d’église remarquable mais avec
laquelle son caractère l’amena à se fâcher pour le restant de ses jours.
Chaque décision qui sort de l’ordinaire devient pour Nora
une sorte d’acte politique plus ou moins conscient la faisant s’affirmer en
tant qu’être humain de plein droit prête à se battre pour les siens et se
donnant peu à peu le droit d’exister par elle-même et pour elle-même.
A l’aide d’une langue simple et d’une histoire assez
largement inspirée de sa propre histoire personnelle, Colm Toibin nous livre un
roman à la fois intimiste et politique, celui d’une Irlande sur le point de se
déchirer dans une terrible guerre civile dont nous voyons poindre les horribles
prémices.
Publié aux Editions Robert Laffont – 2016 – 411 pages