Trouver le sous-titre « Roman » adjoint à celui de
« La Grande Arche » a de quoi surprendre. En effet, sur la forme,
Laurence Cossé a plutôt produit un essai, conduisant un travail approfondi d’enquête
journalistique, plongeant dans les archives et rencontrant ceux des acteurs de
cette aventure architecturale, politique et financière dont la France de
François Mitterrand eut le secret. Mais il est vrai qu’à la lecture de ce livre
fort bien réalisé, factuel, sans concession pour quiconque, écrit dans un style
à la fois alerte et souvent assez drôle, on se dit que de la genèse à la
réalisation de cet édifice unique en son genre et dans le monde, cette aventure
fut bel et bien un véritable roman.
Celles et ceux qui ont cinquante ans et plus aujourd’hui
(les autres le découvriront et ne devraient aucunement se sentir exclus de la
lecture de cet ouvrage édifiant – c’est le cas de le dire – en particulier à
quelques semaines du choix du futur chef d’état) se souviennent du climat euphorique
qui suivit l’élection à la fonction suprême du premier Président de la
République socialiste. Nous vivions alors encore, du fait de la personnalité
particulière de Mitterrand, dans un système combinant les règles d’une
démocratie moderne et les pratiques d’un Prince régnant entouré de sa cour de
flatteurs. De fait, très vite, Mitterrand voulut marquer son mandat par la
réalisation de Grands Travaux symboliques (l’Opéra Bastille, la Très Grande
Bibliothèque de France, l’Institut du Monde Arabe, la Villette) dont la Grande
Arche fut un enjeu bien particulier.
Depuis vingt ans déjà, politiques, architectes et promoteurs
se déchiraient pour déterminer la nature, la forme et l’usage d’un édifice
destiné à boucler le très impersonnel espace de La Défense tout en l’inscrivant
dans la perspective unique de La Concorde et de l’Arc de Triomphe.
C’est Mitterrand qui imposa un concours international et
influença le choix d’un projet dont l’auteur, à la surprise générale, était un
architecte danois, Joseph Otto von Spreckelsen, n’ayant jamais réalisé rien
d’autre que quatre églises et sa propre maison. Son concept, d’une pureté de
lignes et symbolique totale, fit l’unanimité. Mais, très vite, entre celui qui
était avant tout un artiste épris d’absolu, incapable de concessions, n’ayant
jamais géré de chantier pharaonique et ceux issus de la Haute Administration,
de la Finance et du monde féroce des Travaux Publics, l’incompréhension fut
totale et le divorce inéluctable.
Derrière le destin quelque part tragique réservé à
l’architecte qui, fait unique, démissionna du projet avant son terme, se cache
une aventure technologique, politique, financière et humaine des plus
passionnantes. Un de ces feuilletons dont la France a le secret où argent
public et intérêts privés se confondent, où une décision n’est jamais
définitive tant qu’une partie se sent plus forte pour la faire changer à son
profit, où l’on bâtit à la fin en dépit du bon sens tant le projet était mal
ficelé dès le départ. L’essentiel est de faire beau, de résoudre des défis d’ingénierie,
de plaire au Prince et de satisfaire les intérêts incompatibles de ceux qui
savent rendre service.
C’est tout ce « roman », bien réel et révélateur
de certains de nos maux, que nous rappelle avec talent et force détails
Laurence Cossé dans un livre inspiré et délicieux.
Publié aux Editions Gallimard – 2016 – 355 pages