On ne choisit pas sa mère et, une fois devenu adulte, il
n’est pas toujours facile d’admettre ou de comprendre celle qu’elle fut ou
celle qu’elle est devenue. C’est en s’inspirant de sa propre mère que Blandine Rinkel,
une jeune femme de vingt-cinq ans aux yeux immenses et intenses, eut l’idée de
son premier roman.
Jeanine, la mère de la narratrice, est désormais une
retraitée de l’Education Nationale, divorcée, vivant seule dans la grande
maison familiale de Rezé dans la banlieue de Nantes. Sans vraiment s’en rendre
compte, Jeanine semble obsédée par le rose. Celui des post-it qu’elle colle sur
le réfrigérateur après y avoir déposé la pensée, la remarque ou la question qui
la taraude et l’y oublier ensuite. Le rose de cette cuisine dans laquelle elle
accueille à longueur de temps tous les exclus, les marginaux, les paumés qui
attirent sa sympathie immédiate pour les y écouter. Rose comme l’argent qu’elle
« rosissait » plus jeune, pour reprendre son expression, en le
distribuant sans précaution aux pauvres, malheureux et autres cas sociaux
mendiant une quelconque charité.
Car, vous l’aurez compris, le péché mignon de la retraitée
solitaire est de se transformer constamment, presque compulsivement, en une
sorte d’assistante sociale bénévole prête à rendre service, à nourrir, à
héberger ou à financer toutes celles et ceux que le monde met sur son chemin. Sa
générosité n’a de limite que sa naïveté ou son ingéniosité car nombreux sont
ceux qui savent détecter en elle la faiblesse et en tirer parti, sans
vergogne ; comme ce réfugié syrien
cherchant avant tout une femme en dépit de toutes les histoires qu’il peut
raconter et dont il est impossible de démêler le vrai du faux ou ces repris de
justice qui trouvent chez elle un abri commode et pas cher avant de repartir en
prison pour un quelconque trafic quand ce ne sont pas des soldats de Daech qui
finissent par la menacer.
On pourrait croire que Jeanine finirait par être une déçue
de la vie et des autres ; mais non, tel un prêcheur dans le désert, elle
est toujours prête à tendre la main et à engager la conversation au
supermarché, dans les ports, sur les routes beaucoup du fait d’un amour immense
qu’elle a des autres et, un peu, inconsciemment, pour combler un vide et une solitude
qui la taraudent. C’est sans doute pourquoi elle inonde sans cesse la
messagerie vocale de sa fille d’une logorrhée inextinguible.
En soixante-cinq courts tableaux comme autant d’années que
celle dont elle parle, Blandine Rinkel nous livre le portrait touchant d’une
femme généreuse et bourrée de contradictions. Souvent insupportable, elle ne
pourra que nous parler en nous rappelant l’une ou l’autre de nos connaissances.
Un joli portrait très humain et très vrai.
Publié aux Editions Fayard – 2017 – 240 pages