Alain Blottière, auteur peu connu et ayant surtout publié
jusqu’ici des récits de voyages, a eu l’idée de ce roman après qu’une famille
française entière ait été kidnappée par des djihadistes de Boko Haram en
février 2013 dans le nord du Cameroun.
Dans le roman, les cinq membres de la famille imaginée par
l’auteur se font enlever lors d’une sortie anodine en 4x4 dans le désert.
Brutalement, leur quotidien bascule. La mère est obligée de porter le voile et
la burka, le père de se laisser pousser la barbe tandis que tous souffrent de
la chaleur écrasante, du manque d’eau, de nourriture et d’un ennui profond
parfois ponctué de séquences de simulacres d’exécution, histoire d’instaurer
peur et obéissance absolues.
Baptiste, l’aîné de la fratrie, est de retour en France. Le
voici confronté à d’innombrables séances de debriefing pour tenter de cerner où
ils ont été détenus, comment la captivité s’est déroulée et, surtout, de
ramener le garçon à un niveau de conscience permettant son retour à une vie
normalisée. Car, à force de manipulations par ses ravisseurs, de privations, de
séances terrifiantes d’isolement dans une grotte hantée de graphes
préhistoriques d’où ses geôliers le retirent physiquement et psychiquement à
bout, Baptiste est devenu un autre.
Cet autre, qu’ils appellent Yumaï, du nom du renard du
désert où ces bandits se terrent, semble souffrir à la fois d’un oubli
sélectif, son cerveau occultant volontairement des séquences complètes et
intolérables, et d’une sorte de syndrome de Stockholm envers ses ravisseurs qui
en ont fait, patiemment et cruellement, un de leurs guerriers.
C’est avec un style et une manière d’une grande sobriété
qu’Alain Blottière construit son roman qui alterne d’une part de longues séances
de questions apportant des réponses brèves et filtrées de la part de
l’adolescent avec d’autre part des pages où l’inconscient se libère et laisse
remonter les sensations ressenties lors des longs enfermements dans une grotte
prenant une allure d’expériences mystiques particulièrement perverses. Peu à
peu, les zones d’ombre se découvrent, l’inconscient relâche ce qu’il refoule
pour que la vérité, même si elle est intolérable, odieuse et barbare,
apparaisse enfin et permette, peut-être, à Baptiste de renaître.
Mais, nous le comprendrons, Baptiste est mort : aux
siens, aux autres, à lui-même. Un beau récit sobre mais puissant qui fut
récompensé du Prix Décembre 2016.
Publié aux Editions nrf Gallimard – 2016 – 201 pages