13.5.17

Le sosie d’Hitler – Luigi Guarnieri


Régulièrement, la question de la mort d’Hitler revient sur le devant de la scène de celles et ceux qui s’intéressent à l’Histoire relativement contemporaine ou bien sont à la recherche d’un sensationnel permettant d’attirer la lumière de l’actualité sur eux. Il faut dire que la façon dont Hitler et celle qu’il venait tout juste d’épouser quelques heures avant, Eva Braun, ont disparu du bunker d’où les Russes, tenant Berlin, s’apprêtaient à les déloger n’a cessé d’interpeler. Au point d’alimenter une possible thèse de substitution du cadavre du dictateur fou avec celui d’un des sosies qui auraient été recrutés et préparés soigneusement par les services secrets allemands.

C’est de cette perspective (dont l’auteur prend le soin scrupuleux de bien nous indiquer en note de fin de livre qu’elle est purement romancée et basée sur des personnages centraux tous inventés, hormis les figures nazies bien connues) que part Guarnieri pour élaborer un roman terrible de réalisme.

Mêlant avec une habileté diabolique et une précision maniaque faits historiques, détails et inventions romanesques pures, l’auteur concocte un ouvrage saisissant de réalisme et troublant. Car la quête de l’ex-agent des services secrets américains chargé d’enquêter sur la vie et les circonstances de la mort d’Adolf Hitler nous plonge au cœur de l’action et des personnages qui, plus ou moins malgré eux, ont dû participer activement à l’élaboration d’un plan secret. Une recherche méthodique qui se déroule sur quinze ans et les divers pays du monde où celles et ceux qu’il faut retrouver et interroger se terrent plus ou moins ouvertement.

La grande force du roman consiste à avoir imaginé comme sosie un personnage attachant, une sorte de victime expiatoire idéale car, bien que musicien et compositeur de talent, celui qui sera finalement choisi pour jouer un rôle assurément fatal n’aura jamais su vraiment trouver sa place et obtenir la reconnaissance d’un système qui l’aura exclu puis broyé. Il ne peut donc y avoir grand remords à éliminer un être qui ne correspond guère aux canons idéologiques en vigueur même si la pratique musicale, si importante dans la culture aristocratique allemande où se recrute l’élite de l’armée, crée un lien de connivence et une sorte de respect sympathique entre l’officier SS chargé de l’opération et sa future victime. Un cynisme glaçant qui n’excuse aucun des actes décrits mais explique beaucoup au nom de la nécessité pour soi-même de survivre dans un monde devenu paranoïaque.

Luigi Guarnieri retrace de manière particulièrement frappante les dernières heures du Reich, l’écroulement définitif d’un rêve en forme de cauchemar et la débandade absolue qui s’en suivit. Plus le viatique du sosie se prolonge, plus on souffre avec cet homme imaginaire dont le système des vainqueurs et des vaincus voudraient faire à tout prix ce qu’il n’est pas : Hitler, le vrai, non son sosie.

Un livre remarquable.


Publié aux Editions Actes Sud – 2017 – 340 pages