Régulièrement, la question de la mort d’Hitler revient sur
le devant de la scène de celles et ceux qui s’intéressent à l’Histoire
relativement contemporaine ou bien sont à la recherche d’un sensationnel
permettant d’attirer la lumière de l’actualité sur eux. Il faut dire que la
façon dont Hitler et celle qu’il venait tout juste d’épouser quelques heures
avant, Eva Braun, ont disparu du bunker d’où les Russes, tenant Berlin,
s’apprêtaient à les déloger n’a cessé d’interpeler. Au point d’alimenter une
possible thèse de substitution du cadavre du dictateur fou avec celui d’un des
sosies qui auraient été recrutés et préparés soigneusement par les services
secrets allemands.
C’est de cette perspective (dont l’auteur prend le soin
scrupuleux de bien nous indiquer en note de fin de livre qu’elle est purement
romancée et basée sur des personnages centraux tous inventés, hormis les
figures nazies bien connues) que part Guarnieri pour élaborer un roman terrible
de réalisme.
Mêlant avec une habileté diabolique et une précision
maniaque faits historiques, détails et inventions romanesques pures, l’auteur
concocte un ouvrage saisissant de réalisme et troublant. Car la quête de
l’ex-agent des services secrets américains chargé d’enquêter sur la vie et les
circonstances de la mort d’Adolf Hitler nous plonge au cœur de l’action et des
personnages qui, plus ou moins malgré eux, ont dû participer activement à
l’élaboration d’un plan secret. Une recherche méthodique qui se déroule sur quinze
ans et les divers pays du monde où celles et ceux qu’il faut retrouver et
interroger se terrent plus ou moins ouvertement.
La grande force du roman consiste à avoir imaginé comme
sosie un personnage attachant, une sorte de victime expiatoire idéale car, bien
que musicien et compositeur de talent, celui qui sera finalement choisi pour
jouer un rôle assurément fatal n’aura jamais su vraiment trouver sa place et
obtenir la reconnaissance d’un système qui l’aura exclu puis broyé. Il ne peut
donc y avoir grand remords à éliminer un être qui ne correspond guère aux
canons idéologiques en vigueur même si la pratique musicale, si importante dans
la culture aristocratique allemande où se recrute l’élite de l’armée, crée un
lien de connivence et une sorte de respect sympathique entre l’officier SS
chargé de l’opération et sa future victime. Un cynisme glaçant qui n’excuse
aucun des actes décrits mais explique beaucoup au nom de la nécessité pour
soi-même de survivre dans un monde devenu paranoïaque.
Luigi Guarnieri retrace de manière particulièrement
frappante les dernières heures du Reich, l’écroulement définitif d’un rêve en
forme de cauchemar et la débandade absolue qui s’en suivit. Plus le viatique du
sosie se prolonge, plus on souffre avec cet homme imaginaire dont le système
des vainqueurs et des vaincus voudraient faire à tout prix ce qu’il n’est
pas : Hitler, le vrai, non son sosie.
Un livre remarquable.
Publié aux Editions Actes Sud – 2017 – 340 pages