Il y a encore peu, Garth
Risk Hallberg n’était qu’un plus ou moins vague critique littéraire; un
illustre inconnu pour le plus grand nombre. Au terme d’une empoignade féroce
comme les Américains en ont le goût et le secret, son premier manuscrit
s’arracha pour deux millions de dollars, faisant de City on Fire le roman le
plus cher de toute l’histoire de la littérature mondiale. La bataille fut tout
aussi rude pour les droits en France qui furent finalement attribués à Plon
grâce à une proposition de plan promotion ambitieuse doublée d’un gros chèque
(quoique nettement plus modeste que celui émis chez l’Oncle Sam !).
Comment expliquer cet
engouement pour un pavé de quasiment mille pages qui vous demandera une bonne
vingtaine d’heures pour en venir à bout ? Sans doute parce que, tout
d’abord, l’auteur (que la presse et les media sociaux ont désormais dénommé GRH
par souci de simplification) a pris son temps pour accoucher de son
œuvre : pas moins de six ans de recherche et d’écriture patiente et
inventive furent nécessaires ! Ensuite, parce qu’il y a chez GRH beaucoup,
pour ne pas dire la plupart, des ingrédients qui ont fait les grandes fresques
de la littérature anglo-saxonne au point de songer à un Dickens moderne dans
cette profusion de personnages analysés au plus profond d’eux-mêmes et se
débattant avec tout ce que la vie, ou souvent eux-mêmes, auront décidé de poser
sur leurs chemins, reflétant totalement les grandes tendances de leur époque.
Ensuite, parce que City
on Fire est à la fois un roman choral (vécu, narré, vu de façon successive ou
parallèle par de nombreux personnages tous liés, consciemment ou non) et une
sorte de gigantesque puzzle dont les pièces au départ brassées et dispersées
finissent par s’assembler en des sous-ensembles dont l’intégration est
volontairement progressive et heurtée. Du coup, le lecteur qui n’aura pas été
rebuté par l’épaisseur de l’opus (impossible à ignorer dès qu’on tente de
soulever le lourd bouquin qui s’offre à nous) n’aura de cesse que de vouloir en
savoir plus, décoder pourquoi GRH nous ballade ainsi d’une scène à l’autre,
d’un personnage à l’autre tandis que des indices apparaissent petit à petit,
donnant un début de cohérence comme le cadre d’un immense puzzle où viendront
s’emboîter les autres pièces.
Le personnage principal
du roman est la ville de New-York. Celle de la fin des années soixante-dix.
Plus précisément encore, celle comprise entre la nuit de la Saint Sylvestre
1976 et le 13 Juillet 1977. Celle marquant le meurtre sordide d’une jeune fille
dans Central Park et le gigantesque black-out qui paralysa la ville pendant de
nombreuses heures, faute d’une infrastructure de production électrique
suffisante et robuste.
A cette époque, NYC
n’était pas encore la ville gentrifiée, régie par l’argent et le pouvoir
qu’elle est devenue depuis. C’était une cité en faillite, criblée de dettes, où
se promener de nuit équivalait à jouer à la roulette russe, où dealers et
proxénètes faisaient régner leur loi. En même temps, cette époque fut aussi
celle d’une liberté des idées, d’une création artistique débridée, d’un mélange
des genres qui allaient rendre possible la reconstruction et la réhabilitation
majeures entreprises depuis.
Mêlant, à la manière
d’Anna North dans son très beau « Vie et mort de Sophie Stark »,
narration romanesque, fanzine, articles de presse, photographies, courriels,
lettres et autres moyens d’expression, GRH nous place d’emblée au cœur des
problèmes, des défis et des contradictions dans lesquels se débattent ses
personnages hautement représentatifs de la diversité sociologique, culturelle et
financière qui caractérise New-York. C’est souvent volontairement confus,
toujours déroutant, mais GRH nous tient par le bout des yeux. Impossible de
sortir indemne de ce gros pavé qui ne pourra pas vous laisser indifférent.
Quant à dire qu’il enthousiasmera tous ses lecteurs, rien n’est moins sûr, mais
c’est une autre histoire et affaire de goût et de temps (à y consacrer). En
attendant, GRH aura sans doute remboursé une bonne partie de ses dettes !
Publié aux Editions Plon
– 2016 – 978 pages