C’est en découvrant la maison de poupée de Petronella Oortman au Rijksmuseum d’Amsterdam que Jessie Burton eut l’idée de son premier roman. La trentenaire, diplômée d’Oxford, se lança alors dans quatre années d’intenses recherches sur cette mode qui passionna les jeunes femmes bourgeoises et riches des Pays-Bas de la fin du XVIIème siècle ainsi que sur le fonctionnement si particulier d’une capitale regardant de haut les autres villes européennes. Une ville où la plus extrême rigueur calviniste se conjuguait difficilement et non sans violence avec la frénésie de commercer en vue d’accumuler des montagnes de denrées et d’or dans un paradoxe fou où le désir de montrer sa réussite avait le plus grand mal à s’accommoder de la nécessité sociale de piété, de moralité et d’apparente austérité.
De Petronella Oortman on ne sait pas grand-chose si ce n’est
que sa maison de poupée fit courir jusqu’au Tsar de Russie venu admirer une
merveille d’ébénisterie et de miniature. Alors, Jessie Burton laisse courir son
imagination fertile au service d’une histoire à la fois dramatique et qui
reflète fidèlement les contradictions telluriques qui secouent la capitale
batave mise sous la coupe totalitaire de l’Eglise protestante et régulée avec
sévérité par les Guildes des Marchands et des Métiers contrôlant intégralement
toute activité économique.
Pour ce faire, l’auteur fait de la maison de poupée le
cadeau de mariage d’une Petronella débarquant de sa campagne, ruinée par un
père violent, joueur et alcoolique et mariée à dix-sept ans au plus riche des
marchands d’Amsterdam. Un homme qui lui refuse son lit, qui la fuit et laisse
sa maison gouvernée par sa sœur tyrannique régnant sur deux domestiques dont
l’un, noir, chose à peine pensable en une société vivant en partie des
bénéfices de l’esclavage, est l’homme de confiance du Maître.
Pour ne pas sombrer dans l’ennui et trouver une place qu’on
semble lui refuser, tolérant tout juste sa présence, Petronella décide de faire
appel à un miniaturiste pour meubler une maison de poupée, domaine en réduction
sur lequel elle a toute autorité.
Très vite, de nombreux objets et personnages lui seront
adressés sans qu’elle les ait sollicités. Chaque livraison semble prévenir et
prédire d’un événement majeur à venir et la maison exercer une sorte de pouvoir
magique, entre les mains d’un personnage insaisissable mais qui paraît tout
savoir des innombrables secrets d’une famille qui, derrière l’apparence de la
réussite et de la respectabilité, dissimule des actes et des passions que la
société ne saurait tolérer.
Inexorablement et méthodiquement, Jessie Burton met en place
tous les éléments d’une sorte de thriller fatal où la bassesse, la cupidité,
l’intérêt personnel sont les véritables moteurs d’un prétendu intérêt général
et d’une moralité allègrement bafouée.
Malgré une certaine longueur et un intérêt qui finit par se
relâcher passé les deux-tiers du roman, le livre connut un immense succès
international et permit à Jessie Burton
d’être considérée comme la nouvelle figure majeure de la littérature
anglaise contemporaine. Reste à voir ce que donneront ses prochaines productions…
Nous n’avons pour notre part que partiellement souscrit à un enthousiasme qui
nous paraît exagéré.
Publié aux Editions Gallimard – 2015 – 505 pages