La chance sait sourire
aux audacieux, surtout s’ils ont du talent : à vingt-trois ans, un obscur
garçon de café, Oscar Coop-Phane, se
lança dans l’écriture d’un roman, « Zénith-Hôtel », immédiatement
récompensé du Prix de Flore 2012. Les deux livres qui suivirent se firent à
leur tour remarquer et son quatrième opus ne faillit pas à ce qui est,
espérons-le, en passe de devenir une règle. L’auteur aime mettre en scène des
personnages en perdition, errant dans des vies qui ne ressemblent pas ou plus à
celles qu’ils avaient imaginées.
Le baron Stefano en est
un archétype. Lui qui a connu les espaces protégés et d’une immensité
orgueilleuse ayant fait sa fortune et celle de sa famille depuis des
générations, le voici désormais assigné à résidence dans un luxueux hôtel pour
avoir commis l’impardonnable erreur de tuer le jeune neveu du parrain de la
mafia locale venu chaparder sur ses terres. Passer du statut de notable à celui
de prisonnier, même de luxe, du ciel azuréen surplombant les champs infinis
d‘oliviers à la contemplation des ornementations, même dorées, des plafonds d’un palace implique de repenser
sa vie en profondeur. D’autant qu’il est exclu, à tout jamais, faute d’y
laisser sa peau, de s’aventurer hors des murs où Stefano est confiné.
Fouillant les âmes et les
infinis questionnements intérieurs de ses personnages, l’auteur nous entraîne
dans le sillage d’un homme torturé de bien des manières. Torture de la chair
qu’il tente de satisfaire sans véritable joie avec une soubrette de dix-sept
ans bien décidée à tirer parti de la situation pour accélérer sa progression
sociale. Tortures des regrets d’une vie où il pouvait tout quand celle qu’on
lui a accordée lui permet désormais bien peu en termes de variétés. Torture que
la répétition inlassable d’un cérémonial ponctué par des repas pris à la même
table, accompagnés des mêmes vins, servis par le même personnel. Aussi s’est-il
développé une sorte d’instinct pour détecter en un nouveau-venu la possibilité
d’une rencontre prometteuse d’ouvertures comme autant de changements apportés à
une routine qui tend vers l’anesthésie ou l’insupportable.
Plus le temps passe, plus
Stefano se fait irascible et plus devient pressant le besoin d’une expérience
forte susceptible de marquer une rupture mémorable. Ce sera le piège de la
drogue savamment orchestré par un nouveau barman lui-même en pleine dérive. Même
l’arrivée d’un poète célèbre transformera l’espoir de brillantes conversations en une nouvelle
illustration dérisoire de vies ratées dont le désespoir se cache mal dans la
fréquentation compulsive des plus beaux palaces.
Défilent les jours, les
mois et les années. Stefano vieillit et son monde se rétrécit, abandonné de
ceux qui auront su profiter de lui, usé par la drogue, dévasté par un ennui et
une résignation incoercibles. Au fil du temps, l’hôtel perd de son faste,
témoignant à sa manière de la déchéance progressive d’un homme et du monde dont
il vient. Une lente agonie sociale et politique que scrute avec talent et
imagination un jeune auteur qui tient toutes ses promesses.
Publié aux Editions
Grasset – 2017 – 320 pages