L’un des quartiers les plus fréquentés, les plus fébriles
voire les plus inquiétants de la capitale péruvienne est celui dit des
« Cinq Rues ». C’est dans cette zone où tous les milieux se côtoient
que Mario Vargas Llosa a décidé de concentrer bien des personnages et des
moments clé de son dernier roman.
Au Pérou comme ailleurs existe une presse particulière, celle
à scandale, version locale des tabloïds britanniques. Bien que toute société
humaine soit suffisamment brassée et marginalement perverse pour générer
diverses substances nauséabondes faisant le régal de ces torchons, il faut parfois
aux rédacteurs en chef et autres journalistes en question grossir le trait,
forcer les choses, voire carrément fabriquer de toutes pièces des histoires où
se trouvent alors prises au piège des personnalités. Une manière comme une
autre de changer les rapports de force pour faire vendre plus ou bien pour
pratiquer un chantage aussi lucratif que dangereux.
C’est précisément dans ce scenario que se retrouve embarqué
un des principaux représentants du patronat péruvien. L’homme d’affaires aussi
respecté que redouté, puissant parmi les puissants, se retrouve au beau milieu
d’un scandale sexuel savamment orchestré et relayé par le directeur d’un
journal n’ayant aucun scrupule.
S’attaquer à un gros poisson peut toutefois avoir de
fâcheuses conséquences si l’on a mal anticipé ou assuré ses arrières car il est
rare qu’un homme de pouvoir se laisse attaquer sans réagir.
Conduisant son histoire sur le mode du thriller
psychologique et policier, Mario Vargas Llosa décrit et dénonce la façon dont
le Pérou fut gouverné sous l’ère désastreuse d’Alberto Fujimori. Collusion
mafieuse, détournements de fonds, assassinats politiques et crapuleux,
prévarications en tous genres furent les maîtres-mots d’une présidence
considérée comme parmi les pires de ce début de siècle par Transparency
International. On y observe aussi la manière dont, à l’instar de ce qui se
passe ailleurs dans le monde, les classes dirigeantes peuvent se conduire,
s’affranchissant des règles morales en vigueur, prêtes à tout pour défendre les
acquis, dans une insouciance et une déconnexion du monde que leur isolement
luxueux et leur puissance financière permettent d’entretenir. Mais, parfois,
une forte alerte retentit dont il est long et difficile de se remettre.
Un livre bien construit, moyennement écrit cependant, qui
jette un coup de projecteur sur un pays que nous connaissons plus pour son
folklore touristique que pour ses tourments politiques.
Publié aux Editions Gallimard – 2017 – 294 pages