Richard Yates reste un
romancier américain assez largement et injustement méconnu en France. Il est
pourtant aussi considérable qu’un John Cheever mais, à la différence de ce
dernier qui s’était fait une spécialité de l’étude critique des mœurs de la
haute société, l’œuvre de Yates est toute entière tournée vers la description
sans concession de la classe moyenne étatsunienne.
Richard Yates mourut à
l’âge de 66 ans d’alcoolisme et de tabagisme qui lui avait valu d’ailleurs de
souffrir de tuberculose quelques années auparavant. Toute sa vie, il rêva
d’être reconnu, de figurer en première page de la critique littéraire du
New-York Times. Jamais de son vivant ceci n’arriva. Marqué par une enfance
difficile (mère alcoolique et en échec professionnel permanent, sœur battue par
son mari violent), il donne à ses personnages de nombreux traits de ce qu’il
eut lui-même à connaître.
Dans la culture
américaine, la parade de Pâques (Easter Parade) correspond à la tradition selon
laquelle les citoyens qui le désirent revêtent leurs plus beaux atours pour
défiler dans la rue principale de leur ville la veille de Pâques. Pour les deux
sœurs encore adolescentes que sont Sarah et Emily, ce moment marquera l’apogée
symbolique de deux vies de femmes qui ne connaîtront que déceptions, échecs et
descente aux enfers.
Avec une écriture simple,
trouvant le mot juste pour aller toujours à l’essentiel, Yates nous donne à
voir que, dans le monde des alcooliques, le prochain verre n’est jamais loin.
C’est déjà l’alcool qui rendit la mère des deux sœurs d’abord ridicule en
société avant de la conduire directement à l’asile psychiatrique. C’est
encore l’alcool qui servira de refuge à l’aînée, Sarah, pour accepter
l’intolérable, justifier la violence infligée par un mari qui, très vite,
quitta son masque de jeune homme correctement éduqué en Angleterre, à l’accent
raffiné et charmant, pour endosser l’habit d’un rustre vulgaire lui-même
dépendant à l’alcool.
Quant à Emily que son
entourage voit à tort comme une jeune femme libre et séduisante, elle ne fait
qu’enchaîner les échecs amoureux sans jamais réussir à vraiment trouver un
emploi gratifiant malgré de brillantes études et une intelligence certaine. La
faute à l’alcool, encore, qui la pousse sournoisement à choisir les hommes qui
lui ressemblent, instables, souvent alcooliques aussi, affublés de problèmes en
tous genres totalement insolubles car profondément englués dans leurs propres
contradictions. Alors, de là, il n’y a qu’un pas à franchir pour qu’Emily
trouve à son tour dans la consommation de boissons alcoolisées variées – mais
surtout répétées à une fréquence qui augmente en proportion à ses échecs –
l’illusion d’un exutoire qui ne peut que la conduire dans une impasse aussi
sordide que celle que semblent avoir connu tous les membres de sa famille sur
deux générations.
Il y a peu d’espoir chez
Yates. Ses romans sont à l’image de sa vie : désespérée, consciemment
suicidaire avec une logique pourtant visant à ne jamais renoncer sans pour
autant avoir tiré tous les enseignements des échecs précédents. Il y a une
sorte d’implacabilité qui confine à la fascination.
Publié aux Editions
Robert Laffont – Pavillons – 2010 – 330 pages