En quinze ans, Jonathan
Safran Foer n’aura produit que trois romans complétés d’un essai glaçant sur la
consommation de la viande animale. Quinze années durant lesquelles le romancier
sera passé du stade du hipster new-yorkais encensé par la critique pour son
premier roman « Tout est illuminé », à celui d’un auteur de
best-seller avec son deuxième livre « Incroyablement fort et extrêmement
près » qui nous plonge dans le monde post 11 Septembre. Quinze années
marquées aussi par l’explosion de son couple et son divorce d’avec la
romancière Nicole Krauss. Une épreuve qui l’aura marqué et qui l’a amené à
restructurer sa vie, passer du temps à élever ses enfants sans trop se soucier
du temps qui file sans écrire ni publier.
« Me voici »
est un roman à l’image de son auteur : un livre sur la vie, les choix, les
épreuves, l’importance de la famille, le divorce. Un livre sur le sens de la
judéité aussi traité avec ce mélange de tragi-comique et d’un brin de dérision
qui fait le style de Foer.
« Me voici »
sont les deux mots prononcés par Moïse lorsqu’il paraît devant Dieu, obéissant
à l’ordre qui lui a été donné de venir sacrifier son fils adoré sur l’autel
préparé à cet effet. Une épreuve pour tester la loyauté, la dévotion, une
épreuve aussi et surtout pour faire prendre conscience de l’importance des
choix et de l’arbitraire. Or, c’est fondamentalement de ceci qu’il est
intensément question tout au long de cet épais (et un brin interminable) roman
de près de 750 pages.
Jacob et Julia Bloch sont
mariés depuis seize ans. Parents de trois enfants, bien établis
professionnellement et socialement, ils se rendent compte sans le dire ni oser
l’avouer que leur amour s’est peu à peu délité. Finalement, c’est plus à cause
des enfants et par facilité qu’ils vivent encore ensemble dans une intimité de
façade. Jusqu’à la découverte par Julia de texto à caractère pornographique
rédigés par Jacob à destination de l’une de ses collègues de travail. Ce sera
l’électrochoc qui aura raison du couple et donnera l’impulsion nécessaire pour
passer de la cohabitation passive à la séparation consentie.
Pendant que le couple
explose, étape par étape, par détours et hésitations en cascade, un violent
séisme secoue tout le Moyen-Orient menant Israël à une quasi-destruction qui la
place sous le danger immédiat des pays arabes prompts à se saisir des moindres
maladresses et provocations de leur voisin honni pour régler définitivement
leurs comptes.
Ces deux crises majeures
dans lesquelles sont directement ou indirectement impliqués tous les membres de
la famille résonnent dès lors comme d’urgentes obligations pour que Jacob
réponde à son tour à un appel supérieur, qu’il soit enfin en mesure de dire
« Me voici ». Voilà des années qu’il se cache derrière les obligations
familiales ou professionnelles pour ne pas avoir à se définir par et pour
lui-même. Des années qu’il consulte en vain un psychiatre où il décortique par
le menu des questions existentielles sans y apporter de véritables réponses.
Des années à vivre une judéité très superficielle et sociale ayant le vague sentiment
d’appartenir à une communauté dont le sens aurait été perdu. Des années qu’il
hésite entre le statut de fils d’un père rescapé des camps et aux positions
d’ultra-droite radicale, celui de père d’enfants qui cherchent un référent, de
mari d’une femme qu’il aime encore mais autrement, d’amant qui n’est jamais
passé à l’acte, de scénariste rêvant d’écrire autre chose qu’une série à succès.
En clinicien des maux
familiaux, Jonathan Safran Foer décortique les états d’âme et brosse le tableau
d’un homme, et à travers lui d’une société, d’une religion, en pleine
hésitation, en lente et hésitante progression vers la réponse à apporter sur ce
que sont vraiment ceux capables de dire « Me voici ».
C’est à la fois brillant,
drôle, grinçant, original et insupportablement long.
Publié aux Editions de
l’Olivier – 2017 – 745 pages