Après l’exposition magistrale de l’automne 2017 au Centre
Pompidou, c’est au tour de Catherine Cusset de mettre le peintre anglais David
Hockney, que d’aucuns considèrent comme le plus grand peintre actuel vivant, à
l’honneur.
A mi-chemin entre roman et biographie, l’auteur ne se
contente pas seulement de dérouler le récit de la vie d’un génie de la
peinture. Elle nous donne des clés pour comprendre ce que sont les ressorts de
la création d’un homme qui, depuis qu’il sait tenir un crayon, n’a jamais cessé
de dessiner, de peindre, de créer recherchant des expressions nouvelles.
Toute l’œuvre de Hockney peut se voir comme un lien sublimé
entre ses deux principaux inspirateurs : Matisse pour la couleur,
essentielle pour Hokney qui est un coloriste explosif, un artiste qui nous
enchante par ses palettes éclatantes, Picasso pour la façon de voir et de
représenter le monde. A ce titre, après avoir été celui qui, encore étudiant au
Royal College of Arts de Londres, prend le contrepied du formalisme qui vise à
intellectualiser et conceptualiser à outrance la représentation du monde,
Hockney ne cessa d’explorer les façons de représenter en deux dimensions toute
la perception que notre vue plus ample, notre regard mobile dans toutes les
directions complété de nos autres sens nous donne de l’environnement dans
lequel nous évoluons en permanence. D’où un travail innovant sur les collages
et la photographie dans les années soixante-dix et quatre-vingt, d’où ensuite l’appropriation
des techniques numériques dès leur apparition.
C’est ainsi qu’il s’empara du fax pour diffuser ses œuvres
après les avoir scannées et découpées afin que leur réassemblage en temps réel
sur les lieux d’une exposition fasse intégralement partie de l’expérience
éprouvée par le visiteur. C’est aussi ce qui l’amena à faire coudre des poches
dans chacun de ses vêtements pour y glisser l’iPad qui ne le quitte jamais et
lui sert de carnet de dessin sur lequel il croque chaque image, chaque scène
qui lui vient en tête.
On comprend, grâce au travail de Catherine Cusset, que
certains ressorts furent essentiels au parcours créatif de l’artiste.
L’homosexualité dont il prit conscience très tôt et que lui conduisit à fuir
une Angleterre guindée, conservatrice et condamnant les gens de son espèce pour
vivre pleinement ses désirs et s’assumer dans la Californie libérale des années
soixante à Los Angeles. Une homosexualité qui le pousse à mettre en scène sans
cesse les quelques amants qui vont partager sa vie entre des ruptures qui sont
chaque fois déchirantes. Le rapport aux parents entre une mère protectrice et
compréhensive et un père taiseux et un brin colérique avec lequel il n’aura
jamais le courage de véritablement discuter et d’avouer ce qu’ils auront
forcément deviné par eux-mêmes. La mort qui, une fois l’épidémie de sida
déclarée, décimera les rangs de ses amis quand ce n’est pas le cancer qui
fauche ses relations. Une intense réflexion sur le sens de la perspective, la
façon dont les artistes occidentaux s’en sont emparés tandis qu’en Asie la
représentation du monde se fait panoramique. Un travail qui l’amènera une fois
de plus à casser les codes, à projeter le contemplateur de ses tableaux dans une
vision bouleversée, renouvelée, totalement inédite de la scène, provoquant une
émotion immédiate.
De façon humble et pudique, Catherine Cusset nous fait
entrer dans l’intimité créatrice d’un immense artiste, provoquant le désir
immédiat de voir ou revoir ses réalisations qui marqueront l’histoire de la
peinture. Un bel hommage !
Publié aux Editions Gallimard – 2018 – 185 pages