Frédéric Ciriez semble avoir revisité avec succès la
querelle des Anciens et des Modernes. Foin de l’unité de Temps et de Lieu qui a
disparu dans un monde globalisé où tout tourne à toute allure. Les Anciens sont
ces fourbes de critiques littéraires, ces hommes et femmes de lettres qui
n’ayant le plus souvent pas pu commettre un livre par eux-mêmes débattent sans
fin sur ceux des autres. Les Modernes, eux, ont troqué la plume de la presse
spécialisée pour s’emparer des réseaux sociaux et poster sur YouTube des
chroniques léchées dans une langue moderne pleine de néologismes vantant les
bouquins qui les ont fait kiffer.
Stéphane Sorge est de la première espèce. On l’a surnommé tantôt
le SS, comme les initiales du patronyme qu’il s’est inventé, pour la méchanceté
de certaines de ses critiques ou SuperStyle. Mais, depuis qu’il a foiré la
critique d’un auteur idolâtré et dont le bouquin (qu’il n’a pas lu) cartonne,
son étoile est au plus bas. Le Monde des Livres où il est pigiste ne veut plus
de lui et son émission télévisée vient de lui être retirée.
BettieBook, « technicienne solaire » le jour, est
devenue une des YouTubeuses qui comptent. Plus de 30000 Followers pour ses
vidéos léchées où elle dit tout ce qu’elle pense des dystonies dont elle s’est
fait une spécialité.
Elle a vingt ans. Lui, plus du double. Elle est sexie, lui
est divorcé, usé et sans charme. Ils n’avaient rien à voir ou faire ensemble.
Et pourtant, magie du roman et de l’imaginaire, Frédéric Ciriez va en faire un
couple infernal où deux mondes s’affrontent. Pour cela, il faut une histoire.
Ce sera celle d’une machination en forme de vengeance pour faire payer à la
belle l’infortune de l’homme du passé dont plus personne ne veut. Et quoi de
plus convaincant qu’une bonne séance de baise, très trash, haute en couleurs,
où le génie littéraire de Ciriez atteint des sommets orgasmiques !
Comme de plus en plus souvent depuis quelque temps dans le
roman contemporain, Frédéric Ciriez cède à la tentation de mêler les styles et
les formes pour faire de son histoire quelque chose à la fois d’haletant et de
vivant. Après une première partie très littéraire où la nova-langue prend tous
ses droits, la deuxième partie nous relate un procès à coups de PV’s, d’extraits
d’audience, d’articles de presse qui, au passage, nous montrent qu’extraire la
vérité d’un tissu de mensonges et d’affabulations de tous côtés est un exercice
par avance voué à l’échec.
Frédéric Ciriez qu’on avait adoré dans « Des néons sous
la mer » mais beaucoup moins dans « Je suis capable de tout »
signe un très grand livre. Et carrément son meilleur au passage !
Publié aux Editions Verticales – 2018 – 191 pages