Au tout début du
vingtième siècle, des risque-tout se prennent à croire en la nouvelle
technologie promise par l’arrivée de la caméra. Une armée de techniciens,
d’opérateurs et d’acteurs fond sur la petite bourgade californienne qu’est
alors Los Angeles, nouvelle Mecque d’un art qui se crée. Ils vont constituer ce
que l’on appellera les gens du cinéma avant que ce terme ne désigne à
proprement parler ce que nous convenons désormais de nommer comme le septième
art. Entre 1910 et 1930, la petite bourgade tranquille va connaître un
développement exponentiel, des trains entiers déversant au quotidien de
nouveaux prétendants à cet eldorado fascinant bien qu’encore muet.
C’est précisément à cette
époque que Melanie Benjamin situe l’essentiel de son roman. Pour ce faire, elle
a effectué un incroyable travail de recherche et de documentation qui alimente
son récit d’anecdotes et de références qui nous permettent de comprendre
comment cette nouveauté allait faire fureur et devenir non seulement une
nouvelle industrie produisant d’immenses fortunes mais, aussi, un outil de
propagande au service du pouvoir américain.
Empruntant les traits de
Frances Marion, première femme scénariste à être la mieux payée d’Hollywood,
deux fois oscarisée dans les années trente, elle observe de l’intérieur
l’évolution de la relation amicale et professionnelle entre celle qui débute
comme petite scénariste et son amie Mary Pickford, sans doute la première star
de Hollywood surnommée « la petite fille de l’Amérique » pour ses
boucles blondes et son visage angélique qui lui valurent de construire sa gloire
dans une série de films muets où elle jouait des rôles de fillette.
Autour de ce duo féminin
gravite très vite le gratin d’Hollywood, Chaplin, Douglas Fairbanks, Griffith
et Mayer constituant, entre autres, les personnages masculins avec lesquels
elle vont faire du cinéma une activité essentielle et lucrative. Mary Pickford
fut d’ailleurs avec son mari Douglas Fairbanks et Chaplin à l’origine de la
création du studio United Artists créé, entre autres, pour résister à la
pression des producteurs lassés de payer des fortunes à leurs stars
respectives.
A travers le récit de la
relation entre Frances et Mary, c’est toute l’histoire des débuts du cinéma à
laquelle nous assistons. Celle d’une gloire déchaînant les passions en tous
genres, amoureuses comme collectives, sous les traits de Mary qui se révèle une
femme d’affaires inflexible. Celle aussi de la déchéance lorsque l’apparition
du son et des paroles bouleversera les hiérarchies, propulsant dans l’ombre,
les unes après les autres, les stars du muet incapables de s’adapter au profit
des nouvelles venues telles que Greta Garbo ou Gloria Swanson par exemple.
Pendant ce temps, la petite scénariste anonyme allait se faire un nom,
bâtissant une partie de sa renommée pour avoir réalisé un film sur le rôle des
femmes pendant la Première Guerre Mondiale qu’elle vécut sur le terrain
elle-même et comprenant avant les autres la nécessité de repenser en profondeur
la façon de faire du cinéma pour raconter de véritables histoires qui répondent
aux attentes d’un public sans cesse en quête d’innovations.
Le roman de Melanie
Benjamin est aussi un roman féministe en cela qu’il souligne et illustre à
d’innombrables reprises le machisme systématique de ces hommes qui ne voient
pas d’un bon œil des femmes occuper des postes de responsabilité. Il faudra une
force de caractère hors du commun pour que des femmes telles que Mary et
Frances s’imposent. On retrouve des échos nauséabonds de certaines des
pratiques courantes du milieu dans les affaires de type Weinstein qui agitent
le monde du cinéma en ce moment. Même si ce roman est, pour beaucoup, très
féminin, s’intéressant de près aux affaires de cœur et aux couples qui se
construisent pour mieux se déchirer ensuite, il n’en reste pas moins précieux
et instructif.
Publié aux Editions Albin
Michel – 2018 – 512 pages