Quand Hubert Haddad prend
la plume, comme romancier, essayiste ou poète, la langue française se met à
scintiller d’images foudroyantes ciselées dans la luxuriance des couleurs
orientales. Les textes vibrionnent, les mots s’agencent comme jamais encore
pour former des entrelacs envoûtants dont nous retrouvons toute la magie dans
le dernier roman de l’auteur.
Nous voici dans les pas
d’une jeune femme, Damya, chargée de trouver une centaine de figurants, aussi
décharnés que possible, afin de former la petite horde de rescapés des camps de
la mort pris en charge à leur arrivée à Paris dans un remake au cinéma de La
Douleur de Marguerite Duras. Un défi jugé impossible confié à une abîmée de la
vie : Damya fut une danseuse promise à la gloire dont le destin fut
anéanti simplement parce qu’elle se trouva au mauvais endroit au mauvais
moment, victime anonyme des attentats de Novembre 2015.
Quoi de mieux qu’une
déambulation au hasard des quartiers les plus populaires de Paris pour repérer
et aborder celles et ceux qui pourraient faire l’affaire ? Car derrière la
frénésie d’une ville qui brille de mille lumières, abritant fortunes et
pouvoir, se tapit aussi tout ce que le monde compte d’exclus, de réfugiés
faméliques, d’êtres à la dérive vivant d’expédients ou d’aides sociales et dont
la perspective d’un petit cachet, même modeste, aide à donner un autre sens à
la vie. Et puis, en sillonnant ces rues au gré de son humeur, la jeune femme
n’est-elle pas non plus à la recherche de ce jeune et beau garçon croisé trois
fois par hasard et aimé avant qu’il ne disparaisse sans laisser la moindre
trace ?
Lors de ce casting
sauvage, c’est au fond aux oubliés, à ceux qui ne s’expriment jamais car ils
vivent en marge que l’auteur donne la parole. Elle y est souvent brève mais
suffisante pour aider à redonner un sens à la vie. Un sens que Damya a
elle-même perdu voyant à la fois un possible amour s’envoler et une carrière
prometteuse se briser net. Un sens dont ces figurants étiques vont lui
permettre de retrouver le chemin, malgré la douleur omniprésente et les doutes
permanents. Une façon aussi d’accepter de continuer à vivre et de se pardonner de
ne pas figurer parmi les cadavres innocents, ceux des attentats terroristes
comme ceux des camps de nazis, dont les images sont désormais ancrées dans la
mémoire collective.
Hubert Haddad signe une
fois encore un beau livre, superbement écrit, qui sait nous saisir par ce
mélange de peines, d’espoir et de petites joies entrecoupés de séquences aux
images fortes et quasi-indélébiles.
Publié aux Editions Zulma
– 2018 – 157 pages