Nos vies sont souvent pleines
de paradoxes parfois inconscients. Ainsi en est-il de la vague qui nous pousse
à recourir massivement aux énergies dites propres (l’éolien, le solaire
principalement) au motif que celles-ci préserveraient notre planète d’une
pollution qui la menace de plus en plus. Pourtant, comme nous le montre
Guillaume Pitron, toutes ces sources d’énergie ainsi d’ailleurs que tous nos
équipements hi-tech et toute notre transition numérique nécessitent d’avoir
recours à quantité de métaux rares. Des éléments premiers aux noms exotiques
tels que le Scandium, l’Yttrium, le Lanthane, le Néodyme ou l’Europium pour
n’en prendre que quelques-uns.
Or, premier paradoxe,
extraire ces métaux qui se trouvent en concentration très faible dans l’écorce
terrestre nécessite de concasser quantités de roches produisant autant de
déchets à stocker ou à déplacer, de combiner bases ou acides chimiques nocifs
tout en filtrant dans des cubages d’eau à faire frémir tout écologiste. Autant
dire que la production d’un kilogramme de métal rare requiert des installations
sophistiquées dotées de multiples stations d’épuration si l’on ne veut pas
polluer plus in fine qu’en recourant aux énergies fossiles ou nucléaires !
Deuxième paradoxe, nous
avons (le monde occidental) laissé délibérément filer l’extraction de ces
métaux vers des pays peu regardant des normes écologiques au premier rang
desquels la Chine. Du coup, l’essentiel de ces métaux est extrait dans des
conditions moyenâgeuses induisant des catastrophes écologiques et sanitaires
massives. Une façon pudique de se voiler la face en occident…
Comme, pour être
véritablement efficaces, les métaux rares demandent à former des alliages
sophistiqués, désassocier les éléments pour les récupérer demanderait une
énergie et un coût qu’aucun industriel n’est prêt à assumer. Du coup, des
montagnes de déchets précieux s’amoncellent alors que la consommation progresse
au rythme d’un doublement tous les quinze ans, au plus. Autant dire que la
situation est en passe de devenir explosive d’autant que la Chine contrôle la
très grande majorité de la production de ces métaux rares. Des éléments
essentiels à la fabrication de nos jouets électroniques, à l’armement moderne, aux télécommunications, aux
transports en tous genres et à la transformation numérique. Bref à nos vies
modernes…
Nouveau paradoxe, non
contente d’avoir mis la main sur la production des métaux rares, la Chine
contrôle désormais aussi l’aval et est devenue le fabriquant exclusif de tous
ces composants indispensables aux
économies modernes. Comme elle a également décidé de privilégier avant tout son
économie domestique et qu’elle a imposé des transferts de technologie massifs,
elle est en passe de contrôler des pans entiers de l’économie mondiale mettant
toutes les puissances occidentales traditionnelles à son entière merci.
Mieux vaut en être
conscient avant de s’engouffrer les yeux fermés vers un monde prétendument
écologique et numérique dont les tenants et les aboutissants restent
globalement inconnus du grand public comme de bien des industriels aussi comme
le montre ce livre fascinant.
Du coup, quelques
conclusions s’imposent pour Guillaume Pitron. Tout d’abord, réfléchir et
définir vraiment la société que l’on souhaite dans un monde qui comptera
bientôt dix milliards d’habitants concentrés dans les pays producteurs de ces
métaux rares. Ensuite, prendre conscience que le rapport de force entre
acheteurs et producteurs de produits miniers est en train de s’inverser
irrémédiablement au profit de ces derniers. Puis, ne pas jeter le nucléaire
avec l’eau du bain puisqu’il reste une alternative globalement plus verte que
celles qu’on nous vend pour l’être totalement. Enfin, avoir le courage d’un
plan minier agressif et assumé en France puisque nous avons la chance de
posséder dans notre sous-sol de bien de ces terres rares ce qui permettrait
d’assurer une meilleure indépendance à notre économie.
Tout un chacun désireux
de réfléchir à notre monde, à ses enjeux et ses limites se devrait de lire cet
ouvrage dûment documenté et argumenté. Cela fait en tous cas froid dans le dos…
Publié aux Editions Les
Liens Qui Libèrent – 2018 – 295 pages