21.9.18

Nos souvenirs sont des fragments de rêve – Kjell Westö



La littérature finlandaise reste assez largement ignorée dans nos contrées. Il faut dire que ce petit pays (par sa population) a la caractéristique de disposer de deux langues officielles : le finnois et le suédois puisque la Finlande fut pendant fort longtemps rattachée à la couronne suédoise. Kjell Westö est l’un des auteurs contemporains majeurs d’expression suédoise et le retrouver dans son dernier roman récemment traduit réserve un immense plaisir.
L’auteur aime installer ses récits dans le temps et l’Histoire. Ici, c’est un demi-siècle, démarrant au début des années soixante qui sert de cadre. Un temps commencé dans l’enfance où le narrateur, anonyme, issu des classes sociales moyennes va devenir le meilleur ami d’Alex Rabell, le fils d’une dynastie d’entrepreneurs. Et puis, à côté d’Alex, brillant et manipulateur, prêt à tout pour parvenir à ses fins, il y a sa sœur cadette Stella, une jeune fille douée et lumineuse. Alors, forcément, une fois adolescents, Stella et le narrateur vont  devenir amants. Un de ces amours passionnés, dévorants, fusionnels qui vous transcendent et vous détruisent. Un amour qui durera toute la vie avec des périodes de séparation et une relation qui se transformera au fil de l’âge.
Mais, au-delà de cette histoire d’amour autour de laquelle se structure tout le roman, c’est l’histoire d’un pays et d’une nation en pleine mutation qui se déroule sous nos yeux. Un pays qui fut en proie à la guerre civile au début du vingtième siècle, avant que d’avoir à combattre ses encombrants voisins allemands ou russes. Un pays qui connut un essor économique rapide avant de sombrer dans une crise économique qui faillit le laisser exsangue. Celle aussi d’une nation qui n’échappe pas aux conséquences terroristes avec son lot d’actes insensés et de réfugiés qu’il s’agit d’accueillir et d’intégrer avec plus ou moins de succès.
A vouloir traiter tant de thèmes, le danger était grand de s’éparpiller voire de perdre le fil du récit. Rien de tout cela cependant grâce aux personnages attachants, très léchés, très vrais. Leurs doutes sont ceux qu’engendrent les temps actuels. Leurs actes sont ceux dictés par les murs dressés par les classes sociales dont ils sont issus et dont il reste difficile de se départir. Tous n’ont de cesse que d’avancer regardant d’un œil l’avenir de l’autre leurs souvenirs comme autant de fragments de rêve éparpillés, distordus ou tout simplement à jamais perdus dans ce qui forme la réalité avec laquelle il faudra bien composer. Il y a de la beauté dans ces pages qui filent lentement comme les saisons qui rythme vie et lumière plus que partout ailleurs.
Au final, voici six-cents pages qui filent paisiblement et procurent un plaisir protéiforme. Assurément un très grand roman.
Publié aux Editions Autrement – 2017 – 593 pages