Une fois mort, on peut
choisir de ne retenir que le meilleur ou au contraire régler ses comptes avec
celui ou celle qui n’est plus. Dans ce brillant roman de Barbara Israël, ce
sont tous les défunts d’une époque révolue qui sont convoqués dans un échange
épistolaire imaginaire et posthume entre Maurice Sachs et certains des
personnages, parmi les plus célèbres, qu’il aura côtoyés. C’est la France des
années vingt à quarante qui soudainement reprend vie sous nos yeux.
Juif, abandonné dès sa
naissance par son père, délaissé par une mère qui ne pensait qu’à dilapider sa
fortune provenant d’un héritage, Maurice Sachs dut fondamentalement se
construire tout seul au gré des pensionnats où il échoua. Intelligent, surdoué
même, il fut l’auteur de plusieurs romans qui soit ne trouvèrent jamais leur
public soit furent publiés à titre posthume sur la pressante insistance de sa
mère revenue exprès de Londres pour mettre la main sur une source de revenus
qui lui faisait cruellement défaut troquant les pleurs pour son enfant défunt
qu’elle avait secs pour les à-valoir qu’elle arrachait férocement à un
Gallimard qui n’en revenait pas.
C’est que la famille fut
experte en détestation et outrages en tous genres. Passons le père qui prit
très vite la tangente pour filer le parfait amour avec une autre et lui faire
un enfant dont jamais la première famille n’eut connaissance. Passons encore la
mère qui se souciait avant tout de sa garde-robe et de ses bijoux en
collectionnant les chèques en bois et les fournisseurs impayés.
Attardons-nous sur le
salaud intégral que fut Maurice Sachs. Juif, il se mua en séminariste pour
embrasser la foi catholique. Une foi qu’il trahit bien vite en étant démasqué
pour avoir eu des relations coupables avec un jeune garçon confié à ses bons
soins. Cultivé et brillant, il ne tarda pas à entrer dans le cercle du Paris
intellectuel et artiste. Cocteau, Max Jacob furent de ses amants. Gide son
mentor, et Violette Leduc son amoureuse éconduite tandis qu’il se finançait
avec les fonds que lui avait confiés Coco Chanel en vue de lui constituer une
extraordinaire bibliothèque. Voleur, escroc, manipulateur il se fit collabo sous
l’occupation allemande, dénonçant certains des Français avant que d’être à son
tour emprisonné par ses amis et amants nazis et tué d’une balle dans la nuque
après qu’il eut refusé de continuer à marcher dans un convoi de prisonniers.
Encore que cette thèse fut contestée par Julien Green qui affirma l’avoir
rencontré et reconnu par hasard, trois ans plus tard.
Alors, entre tout ce
petit monde passé de vie à trépas, le fiel coule à pleine plume, chacun réglant
ses comptes à sa façon. Avec intelligence, Barbara Israël donne la parole à une
galerie de stars (Coco Chanel, Cocteau, Max Jacob, Gide entre autres) en
retrouvant le style et la langue de ces gloires qu’elle n’hésite pas au passage
à faire descendre des piédestaux où l’Histoire les a placés. C’est d’une
férocité, d’une culture, d’une justesse absolument remarquables au point d’en
faire un récit au charme nauséabond et mortel. Un délice dans son genre !
Publié aux Editions
Flammarion – 2017 – 203 pages