On se souvient du premier
roman de Gauz « Debout-Payé » qui nous plongea au cœur des pensées et
des déboires d’un Africain émigré à Paris tâchant de survivre en acceptant de
devenir vigile chez Sephora. Un roman qui fit sensation et révéla une
caractéristique essentielle de son auteur : une capacité à inventer des
mots, déformant sens et syntaxe pour produire des images frappantes et
poétiques. Un monde pour faire de l’ordinaire un extra-ordinaire.
Prenant son temps, Gauz
nous revient quatre ans plus tard avec un deuxième roman qui continue de faire
sienne, en partie, la formule magique de la réussite. Cette fois-ci, nous voici
sur les traces de deux personnages que rien ne relie si ce n’est un continent,
l’Afrique, à presque un siècle de distance.
Le premier est un enfant
vivant à Amsterdam. Depuis que sa mère est partie pour vivre l’utopie d’une
révolution socialiste dans l’un de ces Etats africains en proie perpétuelle à
des révolutions plus ou moins sanglantes, c’est son père, militant communiste
rouge foncé, ultra de la doctrine marxiste-léniniste qui est chargé de son
éducation. Du coup, voici un gamin endoctriné par un père devenu
« Camarade-Papa » et qui tente de décoder le monde en y appliquant
une combinaison aussi drôle que pleine de contresens de schémas conceptuels
inappropriés doublés de formules où les mots se déforment et s’assemblent pour
donner une signification inattendue aux observations. On comprend du coup la
difficulté pour cet enfant de s’intégrer, difficulté qui ne fera qu’augmenter
lorsque son père, trop occupé par ses activités politiques, l’enverra auprès de
membres de la famille dont le môme ne sait rien restés en Afrique, un monde dont
il ne comprend pas plus le fonctionnement.
Alors que l’enfant est
confié aux mains d’éducateurs chargés de le désendoctriner, un siècle plus tôt
un jeune Français blanc décide de quitter sa Creuse natale pour se lancer dans
l’aventure coloniale africaine. Malgré sa méconnaissance absolue de l’art
militaire, des sciences économiques, des ruses politiques, il deviendra bientôt
l’un de ces rescapés qui survécurent aux dysenteries, fièvres jaunes et autres
serpents venimeux qui décimèrent les occidentaux aventureux à une époque où les
antibiotiques n’étaient même pas un concept. Son secret sera d’apprendre la
langue locale et ses tournures si peu communes aux us européens. Il deviendra
alors l’incontournable maillon entre deux cultures dont l’une cherche
impunément à abuser de la naïveté et de la générosité de l’autre.
Tandis que l’un doit se
défaire d’une langue doctrinaire et de formules erronées qui l’empêchent d’être
au monde, l’autre s’approprie une langue en vue de s’approprier un monde
nouveau et d’y faire flotter le drapeau de la mère-patrie. Gauz confirme avec
ce deuxième ouvrage son talent de conteur et sa capacité à nous plonger au cœur
de l’extra-ordinaire.
Publié aux Editions Le
Nouvel Attila – 2018 – 256 pages