23.3.19

Mémoires au soleil – Azouz Begag



Dans la bouche de toute une génération d’immigrés nord-africains venus des colonies pour bâtir une France moderne en des temps qui ignoraient le chômage, bien des termes, revus au diapason des dialectes arabisants, prirent une sonorité étonnante. C’est ainsi que la mère de celui qui deviendrait plus tard un romancier prolifique doublé d’un futur Ministre à l’Intégration disait à qui voulait l’entendre que son mari était frappé de la maladie d’Ali Zaïmeur, charmante formule pour décrire un drame.
Drame d’une mémoire qui fout le camp et pousse le vieil homme, qui aura passé toute sa vie à travailler comme un forcené pour que ses enfants s’en sortent et ne connaissent pas la même misérable existence que la sienne, à régulièrement s’aventurer dans les rues de Lyon, où il habite, pour prendre le bateau en direction de l’Algérie.
A chaque escapade, Azouz Begag  est appelé à la rescousse pour mener une quête qui n’en finit pas. Quête d’un père parti souvent se réfugier au Café du Soleil à côté de ceux qui furent ses voisins de garni. Des vieillards désormais usés qui tuent le temps dans d’interminables parties de dominos où s’expriment maladroitement les pauvres vestiges d’une virilité plus que vacillante. Quête aussi d’une identité qui pousse régulièrement le seul fils à s’en être sorti à comprendre l’histoire de son propre père dont il ne sait pas grand-chose.
Doté pour tout papier d’identité d’une simple et unique carte d’électeur de seconde zone établie des décennies auparavant, nul ne semble véritablement savoir qui fut et est le père dont la mémoire part en vrille. Personne ne semble le connaître dans le village dont il se dit natif, nulle trace ne semble subsister d’une existence devenue anonyme. Au-delà de la recherche affolée d’un homme qui se perd dans les rues avoisinantes de son domicile, c’est la recherche de ses propres racines, de ses origines, de la véracité de son nom même que mène farouchement Azouz Begag afin de garantir, d’une certaine manière, son droit à exister dans un pays dont il est un ressortissant officiel en mal d’intégration. Un beau roman qui dit la souffrance muette de générations qui auront tout sacrifié pour un pays qui ne leur a pas toujours bien rendu.
Publié aux Editions du Seuil – 2018 – 185 pages