Dans la bouche de toute une génération d’immigrés
nord-africains venus des colonies pour bâtir une France moderne en des temps
qui ignoraient le chômage, bien des termes, revus au diapason des dialectes
arabisants, prirent une sonorité étonnante. C’est ainsi que la mère de celui
qui deviendrait plus tard un romancier prolifique doublé d’un futur Ministre à
l’Intégration disait à qui voulait l’entendre que son mari était frappé de la
maladie d’Ali Zaïmeur, charmante
formule pour décrire un drame.
Drame d’une mémoire qui fout le camp et pousse le vieil
homme, qui aura passé toute sa vie à travailler comme un forcené pour que ses
enfants s’en sortent et ne connaissent pas la même misérable existence que la
sienne, à régulièrement s’aventurer dans les rues de Lyon, où il habite, pour
prendre le bateau en direction de l’Algérie.
A chaque escapade, Azouz Begag est appelé à la rescousse pour mener une
quête qui n’en finit pas. Quête d’un père parti souvent se réfugier au Café du
Soleil à côté de ceux qui furent ses voisins de garni. Des vieillards désormais
usés qui tuent le temps dans d’interminables parties de dominos où s’expriment
maladroitement les pauvres vestiges d’une virilité plus que vacillante. Quête
aussi d’une identité qui pousse régulièrement le seul fils à s’en être sorti à
comprendre l’histoire de son propre père dont il ne sait pas grand-chose.
Doté pour tout papier d’identité d’une simple et unique
carte d’électeur de seconde zone établie des décennies auparavant, nul ne
semble véritablement savoir qui fut et est le père dont la mémoire part en
vrille. Personne ne semble le connaître dans le village dont il se dit natif,
nulle trace ne semble subsister d’une existence devenue anonyme. Au-delà de la
recherche affolée d’un homme qui se perd dans les rues avoisinantes de son
domicile, c’est la recherche de ses propres racines, de ses origines, de la
véracité de son nom même que mène farouchement Azouz Begag afin de garantir,
d’une certaine manière, son droit à exister dans un pays dont il est un ressortissant
officiel en mal d’intégration. Un beau roman qui dit la souffrance muette de
générations qui auront tout sacrifié pour un pays qui ne leur a pas toujours
bien rendu.
Publié aux Editions du Seuil – 2018 – 185 pages