Dans ce petit recueil magnifiquement écrit et savamment
documenté, Eric Vuillard nous rappelle que la guerre des pauvres remonte
quasiment aux sources de la société sous sa forme moderne.
Au Moyen-Âge, elle éclata de manière régulière toujours de
la même façon et pour les mêmes raisons. Concentration de pouvoirs par les
nobles et l’Eglise, abus de taxes et d’impôts, exclusion de la majorité de la
population d’une forme minimale de confort et de bienséance. Ajoutez à cela une
Eglise au faste outrageux en complet décalage avec ce que prônait le Christ et
toutes les conditions sont réunies pour qu’un prédicateur au verbe haut et n’ayant
pas peur de dénoncer sans vergogne les abus mette le feu aux poudres.
Ce fut ce mécanisme qui fit son œuvre à de nombreuses
reprises en Allemagne, en Hongrie, en Angleterre entre autres. A chaque fois,
les pauvres, paysans sans terre, soldats déclassés, petits commerçants se
réunirent en foules immenses pour piller les villes et décapiter quelques-uns
des détenteurs de l’ordre et du pouvoir afin de crier leur colère et de
réclamer de nouveaux droits. A chaque fois, après des hésitations et des manœuvres
dilatoires, les révoltes furent matées dans le sang et se soldèrent par des
exécutions de masse. Car, jamais, les pauvres incapables de s’organiser et de
se constituer en force progressiste ne l’emportent. Tout au plus finissent-ils
par obtenir quelques concessions au fil d’un temps long, jusqu’à la prochaine
explosion.
Une lecture passionnante à mettre en perspective du
mouvement des Gilets Jaunes aux revendications floues ou irréalistes,
désorganisées, désunies, recourant abusivement à une violence qui finira par
avoir raison d’eux. Remplacer l’Eglise et les Nobles par les entreprises et le
capitalisme et vous obtenez un tableau comparable. Car, nous rappelait Marx, l’Histoire
jamais ne se répète, elle balbutie.
Publié aux Editions Actes Sud – 2019 – 68 pages