Le schmock, c’est un mot d’argot yiddish pour décrire à la
fois le pénis, celui dont on se moque et l’imbécile. Un qualificatif qui paraît
parfaitement convenir pour désigner ce petit caporal à l’allure ridicule,
médiocre peintre du dimanche, aux idées racistes aussi pestilentielles que son
haleine et les pets que ses intestins perpétuellement dérangés ne cessent de
lâcher.
Un homme qu’un officier, grand bourgeois munichois, aura eu
l’occasion de commander et d’apprécier dans les tranchées de la Première Guerre
Mondiale. Une fois le conflit terminé, il en fera l’un de ses invités
réguliers, aux côtés de sommités artistiques, de ses déjeuners auxquels
participent aussi le couple formé par son ami d’enfance et collaborateur accompagné
de son épouse. Le seul « petit » problème est qu’ils sont juifs. Un
détail qu’Hitler oubliera d’autant moins que la femme du couple lui aura tenu
tête.
C’est en suivant le destin de ces personnages mouvementé et
souvent aussi tragique que la période à laquelle ils appartiennent que Franz
Olivier Giesbert va tenter de nous donner à comprendre comment un
« schmock » sur lequel on ne parierait au départ pas un kopeck va
accéder au pouvoir et plonger le monde dans une folie totale annonciatrice des
grands génocides qui caractérisent à distance le vingtième siècle.
On y voit à l’œuvre la compromission, des relations sans
cesse basées sur un mélange d‘intérêt et de peur, la bêtise la plus totale au
service d’hommes prêts à tout pour faire valoir leur projet ou leurs intérêts.
Le tout sur un fonds perfide et nauséabond d’anti-sémitisme entretenu par le
besoin de désigner une victime que l’humiliation d’une défaite et de ses
conséquences en termes de dommages de guerre a rendu aussi vive que purulente.
C’est par les yeux du seul rescapé de cette tragédie
humaine, devenu le plus vieil homme du monde retrouvant par hasard son amour de
jeunesse que la barbarie fasciste lui avait enlevée que nous suivons tout ceci.
Comme toujours avec FOG, le style est au service de l’histoire. On se passionne
donc aisément pour ce très beau livre qui rend compte avec talent, élégance,
force et un certain humour décalé aussi du moment le plus noir de notre
civilisation occidentale.
Publié aux Editions Gallimard – 2019 – 395 pages