Plonger dans un roman de
Morgiève est toujours un plaisir indicible. Cet auteur encore trop méconnu est
un artisan à la plume d’or : sa langue est d’une couleur, d’une invention
à nulle égale ! Certes, ce n’est pas la langue châtiée des beaux quartiers
ou des lettrés qui est ici parlée mais celle, bien plus imagée et croustillante,
des bas-fonds et des loubards, petits ou grands. Les comparaisons font mouche
et les situations les plus dramatiques ou les plus inattendues ne cessent de
déclencher des bouffées de plaisir à la découverte de la manière poétique dont
elles sont rendues.
Les hommes dont il est
question ici ont bien des choses en commun. Ils sont tous voyous, vivant en
marge d’activités aussi improbables que répréhensibles : videurs
d’appartement de personnes disparues, brocanteurs refourguant les marchandises
volées, tireurs de voitures, ferrailleurs peu sourcilleux, garagistes
spécialisés dans les activités illicites… Quand il faut s’expliquer c’est donc
plus à coups de poing, de couteau ou d’armes à feu que l’on règle ses comptes.
Tous ont en commun d’avoir un problème avec les femmes. Ils ne choisissent
jamais les bonnes, sont incapables de les comprendre donc de les garder, les
respectent à leur manière pourvu qu’elles satisfassent à leurs désirs impulsifs
et violents.
Et puis parfois, comme
Mietek ce jeune beau gars qui vient tout juste sortir de zon où il a purgé
vingt-huit mois, ils ont aussi un cœur d’or. Alors, quand la chance tourne du
bon côté et que des petites (ou plus) fortunes se gagnent au nez du fisc, voici
un loubard sachant se faire respecter qui se prend pour un ange, sauvant la
veuve et l’orphelin de la misère, du trottoir, de l’alcool ou de toute autre
addiction destructrice. Et parfois, au bout de l’histoire commence une nouvelle
vie, inattendue. Un truc qu’on aurait cru impossible et qui vous tombe sur la
tête simplement parce que ceux qui vous ont vu ont compris que vous étiez le
bon type capable d’assumer sans broncher et de se ranger.
Voilà un roman
réjouissant et dur à la fois. Un roman sur ces délaissés qui survivent en
vendant leurs corps, leurs bras et le peu de cervelle qu’ils ont. Un roman
optimiste à sa façon parce qu’il dit que l’espoir existe et qu’il est possible
de sortir des sentiers menant inéluctablement à sa perte. Un roman qui nous
plonge aussi au cœur des années soixante-dix et quatre-vingt : une vie
sans internet ni portables en tous genres, où conduire vite était la norme et
fumer une habitude commune. Un monde libertaire, d’une certaine facilité à
jamais disparu.
Publié aux Editions
Joelle Losfeld – 2017 – 369 pages