10.11.19

Les hommes – Richard Morgiève



Plonger dans un roman de Morgiève est toujours un plaisir indicible. Cet auteur encore trop méconnu est un artisan à la plume d’or : sa langue est d’une couleur, d’une invention à nulle égale ! Certes, ce n’est pas la langue châtiée des beaux quartiers ou des lettrés qui est ici parlée mais celle, bien plus imagée et croustillante, des bas-fonds et des loubards, petits ou grands. Les comparaisons font mouche et les situations les plus dramatiques ou les plus inattendues ne cessent de déclencher des bouffées de plaisir à la découverte de la manière poétique dont elles sont rendues.
Les hommes dont il est question ici ont bien des choses en commun. Ils sont tous voyous, vivant en marge d’activités aussi improbables que répréhensibles : videurs d’appartement de personnes disparues, brocanteurs refourguant les marchandises volées, tireurs de voitures, ferrailleurs peu sourcilleux, garagistes spécialisés dans les activités illicites… Quand il faut s’expliquer c’est donc plus à coups de poing, de couteau ou d’armes à feu que l’on règle ses comptes. Tous ont en commun d’avoir un problème avec les femmes. Ils ne choisissent jamais les bonnes, sont incapables de les comprendre donc de les garder, les respectent à leur manière pourvu qu’elles satisfassent à leurs désirs impulsifs et violents.
Et puis parfois, comme Mietek ce jeune beau gars qui vient tout juste sortir de zon où il a purgé vingt-huit mois, ils ont aussi un cœur d’or. Alors, quand la chance tourne du bon côté et que des petites (ou plus) fortunes se gagnent au nez du fisc, voici un loubard sachant se faire respecter qui se prend pour un ange, sauvant la veuve et l’orphelin de la misère, du trottoir, de l’alcool ou de toute autre addiction destructrice. Et parfois, au bout de l’histoire commence une nouvelle vie, inattendue. Un truc qu’on aurait cru impossible et qui vous tombe sur la tête simplement parce que ceux qui vous ont vu ont compris que vous étiez le bon type capable d’assumer sans broncher et de se ranger.
Voilà un roman réjouissant et dur à la fois. Un roman sur ces délaissés qui survivent en vendant leurs corps, leurs bras et le peu de cervelle qu’ils ont. Un roman optimiste à sa façon parce qu’il dit que l’espoir existe et qu’il est possible de sortir des sentiers menant inéluctablement à sa perte. Un roman qui nous plonge aussi au cœur des années soixante-dix et quatre-vingt : une vie sans internet ni portables en tous genres, où conduire vite était la norme et fumer une habitude commune. Un monde libertaire, d’une certaine facilité à jamais disparu.
Publié aux Editions Joelle Losfeld – 2017 – 369 pages