Le traitement réservé aux esclaves dans les États du Sud de
l’encore jeune nation américaine fut, on le sait amplement désormais, une honte
absolue et un affront indélébile aux principes humanitaires les plus élémentaires.
De nombreux romans et films ont été consacrés à ce long épisode qui ne prit fin
qu’après la non moins épouvantable Guerre de Sécession.
Ce que l’on sait moins (voire pas du tout), c’est que certains
Blancs implantés dans ces États esclavagistes, révoltés par ce qu’ils voyaient
se passer sous leurs yeux, entreprirent de coopérer avec des hommes ouvertement
hostiles à l’esclavage, installés pour leur part dans les États du Nord, en vue
d’apporter une aide efficace à celles et ceux qui tentaient de fuir les
plantations de coton et leurs conditions de vie, en tous points redoutables.
Parmi les moyens mis en œuvre figura la construction d’un véritable chemin de
fer souterrain, avec son système de gares secrètes souvent situées dans le
sous-sol de granges de fermiers isolés, permettant de convoyer un peu partout
aux Etats-Unis les fuyards chanceux ayant échappé à la vindicte populaire et
aux milices féroces. Souvent les itinéraires étaient hasardeux et périlleux et
l’on n’en réchappait pas toujours. Malheur aux Blancs qui se faisaient prendre
car ils connaissaient un sort funeste guère moins réjouissant que celui réservé
aux fuyards repris, objets de pendaisons arbitraires et de tortures
inimaginables.
C’est toute cette petite, mais importante, partie de
l’Histoire américaine qu’entreprit d’illustrer Colson Whitehead dans ce roman.
Outre l’intérêt de cette révélation, le roman de Whitehead présente le mérite
de rendre compte de manière éminemment réaliste des conditions de vie des
esclaves et des rapports de classe au sein de la population blanche des États
confédérés. On sera un peu plus réservé sur la qualité intrinsèque de
l’histoire qui sert de trame au roman tant elle multiplie les invraisemblances.
Qu’importe, le besoin irréfragable de bonne conscience des
Américains valut au roman un Prix Pulitzer tout à fait en ligne avec les
pratiques du jury depuis de nombreuses années. On trouvera beaucoup mieux au
plan romanesque en littérature américaine contemporaine mais le principal
intérêt du roman n’en reste pas moins historique.
Publié aux Éditions Albin Michel – 2017 – 401 pages