Délaissant les régions polaires qui avaient fait les délices
de son précédent roman déjanté « La fonte des glaces », Joël Baqué se
projette pour son nouvel opus sous des climats plus arides. Ceux du désert de
Syrie plus exactement en ces temps reculés de la chrétienté qui prêtaient
encore à toutes les extrémités. Car, on peut penser que pour convaincre des
foules encore captivées par les idoles qu’on leur a imposées, peu éduquées mais
promptes à être impressionnées, rien n’est plus frappant que l’extraordinaire,
l’inconcevable même.
Pour ce faire, certains des convertis à la religion
chrétienne encore récente partent s’enfermer dans des monastères pour y vivre
une vie rude, faite de renoncements, de souffrances de plus en plus sévères que
l’on s’inflige pour convaincre ses pairs d’une piété supérieure à la leur. On y
pue de crasse et rivalise de folie au point de songer que bien de ces moines
auraient probablement fini de nos jours en hôpital psychiatrique.
Pour les plus extrêmes de ces élus, s’enfermer dans une vie
où côtoyer d’autres humains est encore interprétée comme une trop grande joie
ou une source de trop grand dérangement. Il leur faudra inventer de nouvelles
formes de retrait invraisemblable du monde. Syméon (dit le stylite) fut sans
doute l’un de ceux qui frappa le plus les esprits et dont la mémoire se
conserve encore de nos jours. Il quitta le monastère, chassé pour ses
extrémités en termes de privation qui finirent par faire courir un danger de
suicide collectif parmi les porteurs de bures, pour aller se jucher au faîte de
colonnes de plus en plus hautes, ravitaillé régulièrement en eau et de frugale
nourriture tout juste suffisante à assurer sa survie. Il passa ainsi, retiré
totalement du monde, de longues années durant lesquelles les privations, le
manque de soins, l’absence d’hygiène finirent par transformer son enveloppe
charnelle en un abri pour les vers, les chancres et tout ce que la création
engendra pour rendre la vie terrestre des plus douloureuses. Mais, souffrir lui
fut une joie car régnait au bout la promesse de l’accession à la vie éternelle
et au pardon de l’on se demande bien quels péchés si ce n’est celui d’orgueil
sans doute…
Porté par une écriture magnifique et juste, Joël Baqué nous
interpelle sur les limites de la folie et les dérives que toute foi extrême,
mal contenue est susceptible de produire. Une question de point de vue et
d’époque. Gageons que, de nos jours, la quasi-totalité de ces fous de dieu
auraient grossi les rangs des asiles psychiatriques…
Publié aux Éditions POL – 2019 – 173 pages