30.6.20

Numéro 11 – Jonathan Coe


Quand on a l’imagination fertile d’un Jonathan Coe, il suffit d’un rien pour construire un roman. Ici, c’est le nombre 11 qui servira de prétexte pour bâtir une histoire, ou plutôt une série d’histoires plus ou moins réussies d’ailleurs où le nombre réapparaîtra sans cesse tel un point de contact à distance.

 

Tout commence avec un couple d’adolescentes venues passer quelques jours chez les grands-parents de l’une, Rachel, pendant que leurs mères respectives, célibataires, sont parties en vacances au soleil. Deux jeunes filles entre lesquelles va se nouer une solide amitié qui va se bâtir grâce à une enquête autour d’une carte à jouer portant sur son dos le dessin d’une terrible araignée.

 

Au fil des longues histoires qui vont se succéder, nous retrouverons l’un ou l’autre des personnages (les deux jeunes filles devenues jeunes femmes, leurs mères, les grands-parents) à des époques, en des lieux et en présence de protagonistes qui diffèrent sans cesse. Seul un fil ténu les relie entre eux. Le fil d’une araignée dont nous découvrirons la portée maléfique à la toute fin du livre dans une séquence assez ridicule mais symbolisant probablement le type de films de série B qu’analyse l’un des protagonistes universitaires du livre tout en s’en gaussant. Pourquoi pas même si c’est pour le moins surprenant de la part d’un romancier qui nous avait habitué à plus de talent.

 

On peut lire le roman de Coe de deux manières. Littéralement d’abord, pour ses histoires. On sera alors assez déçu tant le niveau est inférieur à la hauteur d’esprit, la profondeur d’analyse, la qualité de construction auxquelles l’auteur nous a habitués. Ou bien comme une critique assez violente de la société britannique où les charges ne manquent pas : faillite du système social et de santé, paupérisation des classes moyennes, téléréalité navrante, manipulation de l’information, élites imbuvables et déconnectées de toute réalité, recherches universitaires ridicules et inutiles pour n’en citer que quelques-unes.

 

On n’en reste pas moins sur sa faim avec ce long roman un peu foutoir qui ne comptera pas parmi les plus grandes réussites du génial Anglais.

 

Publié aux Éditions Gallimard – 2015 – 445 pages

22.6.20

Itinéraire d’enfance – Duong Thu Huong


 Paru initialement en 1985 au Vietnam, « Itinéraire d’enfance » n’a fait l’objet d’une traduction et édition françaises qu’en 2007 après que son auteur eut obtenu le Prix des Lectrices Elle pour « Terre des Oublis ».

 

« Itinéraire d’enfance » nous mène sur les pas d’un formidable voyage au cours duquel deux jeunes filles vont traverser une grande partie du Vietnam. Tout cela, parce que l’une des deux jeunes filles, Bê, âgée de douze ans, intelligente, toujours brillante en classe, bien élevée et jusque-là sans histoire, s’est vengée un peu puérilement d’un professeur de gymnastique nouvellement nommé particulièrement pervers. Ce dernier l’avait honteusement humiliée devant ses camarades parce qu’elle le gênait dans ses tentatives de séduction de la plus belle et la moins intelligente de ses camarades.

 

Exclue de l’école pour faire un exemple et pour protéger l’enseignant par ailleurs lié à la famille de la Directrice, Bê décide de rejoindre son père, capitaine dans l’armée vietnamienne, stationné sur les contreforts montagneux de la frontière avec la Chine. Accompagnée de sa meilleure amie dont la mère vient de tomber dans le piège d’un mariage qui signera sa ruine, Bê va découvrir l’immensité et la diversité de son pays. Pour ces deux jeunes filles qui n’ont jamais été plus loin que la petite ville située à une quinzaine de kilomètres de leur village, commence une aventure aussi périlleuse que merveilleuse. Une aventure qui les exposera à des déconvenues cruelles mais aussi, et surtout, à la générosité de cœur d’anonymes émus par le sort, l’histoire et la volonté de ces deux préadolescentes débrouillardes qui, jamais, ne perdront de vue leur objectif : retrouver le père de Bê.

 

Duong Thu Huong rend ici un vibrant hommage à la tradition d’hospitalité de son pays, aux coutumes d’entraide qui prévalent dans les contrées reculées où, pouvoir compter sur les autres en cas de nécessité fait loi. Elle rend également compte de la diversité géographique et climatique d’un pays où le soleil tropical brûle sans vergogne près des côtes et le froid mord dans les montagnes reculées du Nord en imaginant une série d’aventures réalistes et pour lesquelles nous nous prenons vite de sympathie.

 

Au final, cet itinéraire qui achèvera pour les deux protagonistes principales une enfance pour les faire entrer dans l’adolescence et les préparer à la vie d’adulte se lit avec plaisir et constitue une jolie découverte.

 

Publié aux Éditions Sabine Wespieser – 2007 – 378 pages

16.6.20

Le Japon – Un modèle en déclin ? En 100 questions – Valérie Niquet


Spécialiste de l’Asie, Valérie Niquet publie régulièrement des ouvrages dans la collection en 100 questions pour nous aider à décoder les petites ou moins grandes puissances asiatiques et ce qui se passe au sein de ce vaste sous-continent.

 

Son dernier ouvrage est consacré au Japon. En 100 courts chapitres de deux à quatre pages au maximum, elle nous aide à comprendre les fondamentaux historiques, la nature des relations ambigües avec la Chine, la Corée et les États-Unis, les blocages sociaux induits par le strict respect de la séniorité, du management et la recherche perpétuelle du consensus, les forces et les limites de l’innovation japonaise, le fonctionnement de la classe politique etc…

 

L’ouvrage, très didactique, permet de mieux appréhender un pays dont le fonctionnement parait fort nébuleux vu de l’extérieur.

 

Publié aux Éditions Tallandier – 2020 – 328 pages

10.6.20

La punition – Tahar Ben Jelloun


Il aura fallu près d’un demi-siècle pour que Tahar Ben Jelloun se sente enfin prêt à raconter sa terrible mésaventure à l’aube de ses vingt ans. En ce milieu des années soixante, le jeune homme qui n’est encore qu’un étudiant parmi d’autres à l’Université de Rabat rejoint des groupes de contestation et de manifestation contre un régime totalitaire et autoritaire. Des manifestations réprimées par la force qui vont laisser morts de nombreux jeunes gens et envoyer dans les geôles marocaines d’autres. Un soir, se trouvant dans la cantine de l’Université où se déroule un meeting étudiants, le jeune Tahar se fera rafler et ficher.

 

L’État policier n’oubliant jamais celles et ceux qu’il considère comme ses ennemis, le jeune homme recevra peu de temps après une convocation pour se rendre dans un camp militaire perdu dans le désert, loin de Rabat et de toute forme de civilisation. Il comprendra très vite que c’est là-bas que l’on envoie les hommes de tout âge et de toutes conditions qui ont osé s’élever, sous quelque forme que ce soit, contre le régime et le monarque. Un camp sans autre règle que de laisser tout pouvoir aux officiers qui le commandent et à l’adjudant sadique et inculte en charge de l’instruction en vue de mater toute forme de rébellion.

 

Oubliés les droits élémentaires, oubliées les joies. Seuls comptent les exercices épuisants, les tâches absurdes n’ayant d’autre vocation que de briser les résistances pour obtenir une obéissance aveugle. Rien de mieux dès lors que d’enchaîner les privations de nourriture en servant à ceux qui ne sont même pas officiellement des recrues mais plutôt des prisonniers une pitance immonde, souvent corrompue, l’argent de la nourriture officielle servant aux fêtes des officiers en charge du commandement.

 

Là-bas, loin de tout, on meurt pour un rien, enterré vivant jusqu’au cou, laissé à cuire au soleil du désert ou tué lors de manœuvres contre un ennemi inconnu et jamais vu. Pendant plus de dix-huit mois, il faudra tenir, se serrer les coudes, baisser l’échine, saisir les moindres occasions pour échapper aux punitions et brimades qui pleuvent en rafale sous les ordres d’un officier supérieur sadique, pervers et manipulateur.

 

Presque par miracle, Tahar Ben Jelloun en réchappera, le système relâchant sans plus de justification ceux dont il aura confisqué la jeunesse. Surtout il échappera au pire, l’officier à la tête de la garnison où il se trouvait enfermé ayant ourdi un coup d’état contre le Roi quelques semaines à peine après sa libération. Un putsch qui se termina dans le sang et renforça le régime en place.

 

De tout cela, celui qui allait devenir un homme de lettres internationalement connu et reconnu devait garder un souvenir cuisant, profondément douloureux, une faille physique et psychique dont il n’est pas possible de jamais se remettre complètement. Un puissant témoignage de ce qu’un état non-démocratique peut engendrer d’arbitraire, de folie et de destruction.

 

Publié aux Éditions Gallimard – 2018 – 153 pages

8.6.20

L’homme de la montagne – Joyce Maynard


Qui peut bien se cacher derrière l’anonyme homme de la montagne auquel il est fait référence dans le titre de ce superbe roman de Joyce Maynard ? Au premier abord bien sûr, le dangereux fou criminel qui sème la terreur de manière régulière en assassinant des jeunes femmes venues imprudemment se promener ou faire leur jogging sur l’un des nombreux sentiers qui parcourent la montagne de l’autre côté du Golden Gate Bridge de la baie de San Francisco. Un pervers qui prend plaisir à assassiner ses victimes à l’aide d’une corde de piano, à les déshabiller, les violer et les laisser, les yeux bandés d’un ruban adhésif, dans une position de supplique.

 

Mais ne serait-ce pas également l’inspecteur Toricelli, cet homme séduisant, père de deux adolescentes qui ont fait de ces montagnes leur terrain de jeu favori ? Un homme qui a laissé ses filles aux soins de leur mère dépressive pour courir dans les bras d’une autre femme, plus sémillante, plus riche, plus équilibrée. Un homme auquel pensent constamment leur fille et ce d’autant plus qu’il est devenu le chouchou de la presse et qu’il a envahi les écrans de télévision. Un homme qui perd son âme entre les femmes dont il tourne si bien la tête et une enquête qui va finir par le détruire.

 

Ou bien, encore, l’homme de la montagne ne serait-il pas cet homme fantasmé par les esprits survoltés par le bouillonnement d’hormones qui agite les deux sœurs ? Celui d’un amour dont on ne sait pas grand-chose, celui qui fera de ces jeunes filles des femmes lorsqu’elles en auront acquis les attributs physiques et psychologiques.

 

Car derrière ce thriller qui nous mène au cœur d’une enquête au long-cours sur un assassin qui n’en finit pas de sévir impunément, c’est surtout à l’adolescence au temps des jeunes filles en fleurs que s’intéresse Joyce Maynard. Avec vérité, pudeur ou crudité selon le cas, l’auteur explore en profondeur les fantasmes, les rêves, les pulsions, les frustrations, les expériences parfois limites de ces jeunes filles qui découvrent ou souvent tentent d’imaginer ce que devenir une femme peut bien vouloir signifier. Les trouvailles y sont nombreuses, toujours justes et frappantes. Elles nous plongent au cœur de la vie d’une petite ville américaine où se réfugiait la classe moyenne avant qu’elle ne devienne, quelques années plus tard, la banlieue chic des geeks de la Bay Area.

 

Joyce Maynard signe là un de ses plus grands romans.

 

Publié aux Éditions Philippe Rey – 2014 – 319 pages

2.6.20

La Golf blanche – Charles Sitzenstuhl

 

Charles Sitzenstuhl est un jeune homme aux multiples talents. Diplômé de Sciences Po, il a participé à la campagne électorale présidentielle aux côtés de Bruno Lemaire auprès duquel il est désormais conseiller politique à Bercy. À ses heures perdues (si, si !), il s’adonne également à l’écriture ce qui nous vaut la parution de son premier roman « La Golf blanche ».

 

Ce natif de Sélestat en Alsace campe tout son récit dans sa ville natale. On y sent beaucoup d’authenticité et la convocation de souvenirs d’enfance. On y décèle par la même occasion une limite, le récit croulant sous les noms de rue, de quartiers, de villes, d’établissements en tous genres dont la surabondance, loin d’être utile, finit par nuire à la fluidité du récit.

 

Mais laissons là cet aspect non essentiel pour nous intéresser au récit lui-même. La Golf blanche, c’est celle que conduit le père du double littéraire de l’auteur auquel il a donné son propre nom. Un géant allemand venu s’installer en France depuis de nombreuses années où il a épousé une gentille petite femme dont il a eu deux enfants. Une vie de famille qui aurait pu se dérouler sans histoire si ce n’est que l’homme fait preuve de troubles psychologiques graves. Le temps passant, ses sautes d’humeur deviennent de plus en plus fréquentes et violentes faisant régner la terreur parmi les siens, psychologique comme physique.

 

C’est à cette descente aux enfers que s’intéresse en détails Charles Sitzenstuhl lors de courts chapitres qui illustrent chacun à leur tour une des manifestations de la folie autodestructrice d’un homme qui ne supporte pas les succès de son fils quand lui, par son comportement, ne fait qu’accumuler désillusions, contreperformances et plongeon social. Tout cela est fort bien étudié et rend compte avec réalisme et justesse de l’enfer quotidien que vivent certaines familles.

 

Il manque cependant un certain souffle, une écriture plus acérée pour en faire un roman puissant. Voyons là un premier essai qui demande à être transformé.

 

Publié aux Éditions Gallimard – 2020 – 209 pages