Plus d’un siècle après sa mort, Anton Bruckner reste un compositeur mal connu et pas toujours apprécié des mélomanes. Pourtant, ce fut un génie, probablement aussi grand que Wagner qu’il adulait, dont les partitions bouleversèrent de manière radicale l’approche principalement symphonique.
Vincent Borel, dans ce magnifique petit recueil, nous donne à mieux connaître ce compositeur atypique. Un homme, orphelin de père, qui fut placé très jeune dans une école religieuse où il révéla sans tarder une fascination pour l’orgue, une oreille absolue exceptionnelle, un goût pour l’étude et la discipline que sa dévotion religieuse ne faisait que constamment encourager.
Derrière cet aspect de ce que nous qualifierions désormais d’enfant précoce se cachaient aussi bien des fissures qui handicapèrent Bruckner toute sa vie. Un manque de confiance en soi qui lui faisait sans cesse rechercher l’approbation de ses pairs, se livrer à d’épuisants exercices visant à parfaire sa technique et, plus tard, à remanier constamment ses partitions dont il n’était jamais satisfait. Un handicap exacerbé par une incapacité à se comporter normalement en société, n’en comprenant pas les codes qu’il honnissait sans doute inhibé par une forme d’autisme qui le poussait à compter sans cesse les moindres détails de ce qui l’entourait, les feuilles sur les arbres, les arbres, les perles des colliers de femmes, les fenêtres afin de se calmer et de limiter ses compulsions. Les femmes lui restèrent un grand mystère. Lui, toujours prompt à s’enflammer pour une belle femme surtout si elle portait une robe d’un bleu bien particulier, restera puceau toute sa vie, incapable de comprendre comment fonctionnaient les codes et les règles de la bonne société.
De son vivant, il fut surtout reconnu comme un organiste de génie, probablement le plus grand de son époque capable de faire sonner comme personne tous les instruments auxquels il s’essaya. Également, comme un professeur adulé par sa petite troupe d’admirateur parmi lesquels Wolf et Mahler entre autres, amusant la galerie par son approche parfaitement non-académique au sein d’une institution guindée. Mais, comme compositeur, il lui fallut attendre sa septième symphonie pour qu’on vît enfin en lui un génie musical. Toutes ses œuvres précédentes furent des flops retentissants, souvent même des outrages cuisants envers sa personne détestée de Brahms et du principal critique musical qui faisaient à eux deux la pluie et le beau temps du Vienne musical.
C’est ce personnage attachant, aussi génial que sensible et un brin cinglé dont nous suivons les pas mis en scène avec élégance, drôlerie et force détails brillamment servis par une écriture aussi riche et raffinée que la musique de l’homme qu’elle décrit.
Publié aux Éditions Sabine Wespieser – 2018 – 210 pages