Il leur avait donné un surnom : les cygnes. Ces grands oiseaux blancs, majestueux, relativement indolents ne se mélangeant pas au reste de la faune des lieux qu’ils fréquentent. Lui, c’est Truman Capote, le trublion littéraire du New-York des années soixante et soixante-dix. Elles, les cygnes, ce sont ces femmes superbes, drapées dans les plus belles robes des plus grands couturiers (français, de préférence !), maquillées à la perfection, mariées aux hommes les plus riches et les plus puissants de l’Amérique, portant les noms les plus fameux, riches à outrance.
Un accès au sommet de la société américaine permis par une amitié improbable. Celle d’un homme alors encore jeune, encore beau comme un dieu, efféminé comme une caricature, manipulateur et charmeur, surdoué des lettres, ambitieux ne reculant devant rien, j’ai nommé Truman Capote, avec l’icône de la mode américaine, la grande et sublime Babe Paley mariée à William Paley, le fondateur de CBS, un des hommes les plus riches des États-Unis.
Entre ces deux, une amitié fusionnelle s’installera. L’ambitieux Capote y trouvera la clé lui ouvrant les portes du monde. La fragile Babe, le regard d’un homme lui portant un réel intérêt, toujours à la limite d’une passion amoureuse que sa sexualité lui interdira. Grâce à Babe, Capote récoltera auprès de ses cygnes une série intarissable de ragots et rumeurs dont il raffolait autant qu’il les alimentait sournoisement, source constante d’inspiration romanesque pour celui qui se définissait comme le fondateur du roman non-fictionnel.
Tout fonctionna à peu près bien entre un Capote devenant une gloire littéraire que l’on s’arrache et une Babe enfermée dans une vie en apparence insouciante, en réalité ennuyeuse et source de constantes frustrations. Du moins, jusqu’à la parution d’une nouvelle dans la revue Esquire « La côte basque » en octobre 1975. Une nouvelle faisant elle-même suite à un bal mégalomaniaque, conçu par Capote en son propre honneur, où il se fit une noria d’ennemis. Dans la nouvelle, il commit l’irréparable en trahissant les secrets d’alcôve de ses cygnes, mettant au grand jour leurs turpitudes et celles de leurs maris volages. Un crime de lèse-majesté qui signa son suicide social et finit de le précipiter dans la décrépitude qu’un alcoolisme compulsif, doublé d’un abus de drogues et d’une sexualité aussi vulgaire que dangereuse ne firent que l’accélérer.
Formidablement documenté mais pour autant entièrement imaginé tant dans les dialogues imagés que les scènes hautement réalistes élaborées par Melanie Benjamin, ce roman nous plonge au cœur d’un monde oublié mais qui continue d’exister, sous des formes modernes, partout où l’art, l’argent, le pouvoir et les belles femmes se mélangent pour former des associations pas toujours sincères.
Publié aux Éditions Albin Michel – 2017 – 425 pages