Attiré par une quatrième de couverture intrigante et originale, je me disais que le livre que je m’apprêtais à ajouter à ma liste chronophage serait soit génial soit d’une sourde médiocrité. A la fin de mon billet, vous saurez de quel côté mon cœur balança.
« Quand souffle le vent du nord » est une sorte de Liaisons dangereuses revisitées à l’aune du XXIème siècle digital. Correspondre peut être fatal, peut entraîner deux êtres vers des rivages insoupçonnés voire au bord de précipices aussi délicieux que périlleux.
Tout commence lorsqu’Emma adresse un email d’annulation d’abonnement à une revue. L’ajout d’un « e » malencontreux au Magazine Like fait que ce courriel se trouve routé vers un certain Leo Leike. Une correspondance au départ anodine va alors s’engager. Ce qui aurait pu s’arrêter là sera précipité dans une pulsion communicatrice auto-entretenue par un subtil mélange explosif.
Leo est un cérébral, un maître des mots (il enseigne la psycho-linguistique) et sait faire preuve d’un humour parfois un brin cynique, souvent décalé propre à attiser le caractère impulsif, violemment émotionnel de Emma. Emma s’ennuie sans doute un peu et est une séductrice invétérée, camouflée derrière l’apparence d’un mariage heureux et exemplaire. L’air attise la flamme et la flamme dévore l’air. Très vite, l’échange d’emails va glisser vers la construction d’une relation passionnelle et totalement virtuelle, l’un et l’autre ayant autant d’esprit et une capacité à rebondir en provoquant l’autre, en le relançant lorsque la tentation pourrait se profiler de tout arrêter.
Très vite aussi, Emma et Leo réaliseront que ce qui fait le sel de ces échanges, c’est la projection mentale qu’ils se font l’un de l’autre. Ils imagineront d’ailleurs un très subtil jeu pour tenter de se rencontrer physiquement sans donner la possibilité à l’un ou l’autre de s’assurer que celui ou celle qu’il a cru(e) identifier comme son partenaire virtuel est vraiment l’objet de son phantasme. Histoire de pimenter encore une liaison d’autant plus dangereuse qu’Emma est mariée et que Leo se remet à peine d’une relation amoureuse destructrice. Ce sont de ce fait l’homme et la femme idéaux qui vont se construire, sortes d’avatars virtuels de protagonistes en mal d’amour mais trop soumis aux contraintes sociales pour oser transposer dans le monde réel ce qui se passe dans leurs têtes et sur la toile. Il y a alors grand danger quand le psychologique se trouve à ce point diamétralement opposé au monde physique.
A aucun moment, l’auteur ne sombre dans la vulgarité qui aurait pu guetter à chaque coin de courriel. Bien au contraire, la force du livre est dans la subtile et raffinée variété de la teneur des courriels échangés, leur longueur et leur style reflétant avec une redoutable efficacité les affres, les doutes, les tentations, les pulsions de plus en plus intenses qui secouent ce couple digital. La question prégnante, dont la réponse sera apportée brillamment en toute dernière page, est de savoir s’il faut ou non concrétiser cette relation, lui donner le caractère prosaïquement et inéluctablement physique qu’elle appelle instamment.
Tout cela est très intelligemment écrit, souvent très drôle, et le danger véritable est, qu’une fois commencé, vous risquez bien, comme Emma et Leo, de ne plus pouvoir décrocher.
Qui aurait cru que je fusse capable de succomber au charme d’un roman a priori plus féminin ? Et bien, je l’avoue sans honte aucune, j’ai adoré et fais de ce remarquable roman un de mes grands coups de cœur de ces douze derniers mois !
Publié aux Editions Bernard Grasset – 2010 – 348 pages